Lorsque j’ai appris la mort de Roland, début août, j’étais embarqué dans une série d’articles sur Londres à ses différentes époques (modernes) et à travers ses héros, écrivains, mouvements… Xavier en a relu une partie, Julien en a relu d’autres, Laurent Queyssi en a retouché un (sur les sixties bien sûr), j’étais bien parti, content, et puis. L’arrêt subit. Plus écrit grand-chose depuis, en dehors d’un court papier pour le volume sur Paris. Je dois pourtant me remettre au boulot, finir le papier commencé sur l’après-guerre, écrire ceux sur le début de siècle et sur le Blitz, un sur Paris Années folles, aussi. Oui, il faut. Au lieu de quoi j’ai pris des notes pour des bouquins pour la jeunesse, d’autres pour d’éventuels mémoires (au masculin quand c’est un auteur qui raconte ses souvenirs), bien cogité à ce que je veux faire ensuite, et c’est à peu près tout. Non que je geignes ni ne me sentes aucunement dépressif, il me manque juste l’étincelle, la motivation. Alors en attendant, j’ai continué à lire des choses utiles pour me (re) plonger dans ces époques. Par exemple, un autre polar jeunesse de Malcom Saville : Lone Pince London. Stylistiquement un peu moins léché que Two Fair Plaits mais néanmoins fort plaisant, et donnant un petit aperçu du Londres fifties. Sinon, je trouve toujours à m’occuper : bichonner le (nouveau) site des Moutons électriques, lire et annoter le manuscrit du (fort bon) Stan Lee de Jean-Marc Lainé, boucler des couvertures et corriger des maquettes, transcrire et mettre au propre une interview…
Et puis, lire avec un ravissement complet, un vrai éblouissement, Les Îles de la Lune de Michel Jeury. Un roman de 1979, au Fleuve Noir Anticipation, que j’avais un peu oublié — et que Richard Comballot m’a proposé pour la « Bibliothèque voltaïque », complété d’une nouvelle fin écrite par Jeury trente-trois ans plus tard. Il faut dire qu’à l’époque, contraint par la limitation du nombre de signes imposé par la collection, Michel s’était trouvé soudain arrivé à la fin du livre sans l’avoir réellement bouclé… Cette fois c’est fait, et c’est fascinant, entre l’élan utopiste du roman de 1979 et la fin nettement plus sombre, plus incertaine, de 2012. Les grandes thématiques jeuryennes du doute sur la réalité et des « fugues » dans d’autres dimensions sont bien là, mais aussi un regard aiguë sur les dérives sociétales du libéralisme, la thématique déjà du changement climatique, et des références subtiles à l’histoire de la littérature de science-fiction, en particulier au Demain les chiens de Clifford D. Simak. Tout cela forme un roman formidablement beau, puissant et poétique à la fois, bourré d’images mémorables, pour tout vous dire j’ai retrouvé là tout ce que j’adorais (et que j’adore toujours) dans la « spéculative fiction ». Bref, on a signé dare-dare le contrat et ça paraîtra (déjà) en mai 2013 : un bonheur et un honneur. Âgé de 80 ans, Michel Jeury m’a mis un petit mot qui m’a serré le cœur : « Je suis très heureux de cette publication. Vu mon état de santé, elle pourrait bien être la dernière. »