Il s’agissait d’être logique: puisqu’hier j’avais fait un parcours du « Capital Ring » en partant d’East Finchley, il s’agissait que je termine cela, cette fois en le prenant dans le sens indiqué par mon guide. Soit donc la balade d’East Finchley à Highgate, et plus si affinité. D’autant que le temps se maintenait au « sec ». Pas au beau: la météo, à Londres, parle de « dry » quand il ne pleut pas, ce qui est considéré comme bien assez beau déjà. Hop donc, traversant la High Road je pénétrai dans Cherry Tree Wood, le bois qui s’étend en face de la station du métro. Les Anglais sont toujours très attentif à la sauvegarde naturelle et l’on nous explique, dès l’entrée du bois, qu’il s’agit là d’un lambeau survivant de la vaste forêt préhistorique. Plus récemment, un évêque en avait fait son terrain de chasse. Au sortir du bois, une deuxième forêt s’ouvre sur l’autre trottoir, Highgate Wood, ample et majestueuse. Une autre rue, et de l’autre côté encore une autre forêt: celle-ci plus dense, plus sauvage. Le sous-bois se perle d’or, entre les contorsions des troncs épais. Accrochée dans un repli de collines, la grâce pointilliste de cette forêt d’automne m’enchante aussitôt: les taches tremblantes des feuilles, au sol le tapis tacheté des feuilles mortes, et les troncs des chênes, noirs, tranchant sur toute cette lumière mouvante. Queen’s Wood. La multiplicité et la beauté de ces bois me sidèrent, on est dans Londres et presque jamais je n’émerge dans une rue, au milieu des maisons pourtant toutes proches. Nonobstant quelques joggueurs, la faune que je croise se constitue de merles, de pies, d’écureuils bien sûr. Plus loin serons aussi des mouettes, canards, foulques, cygnes. Hier j’avais vu un héron s’envoler dans toute sa grise élégance au-dessus de la Brent. Un sentier en pente raide, et soudain une rue, encaissée entre deux épaules rocheuses, Priory Gardens.
Le guide indique que la promenade suivante débute entre les maisons n°63 et 65: un autre sentier grimpe là, on tourne dans l’herbe derrière une vieille bibliothèque, une vieille route descend, tourne, et s’ouvre là un nouveau parc. Sur la gauche se distinguent les bouches abandonnées de deux tunnels ferroviaire: le Parkland Walk constitue le tracé d’une ancienne ligne, abandonnée. Il avait été question de la récupérer pour la Northern Line du métro, mais la seconde guerre interrompit ces projets — ainsi sais-je maintenant pourquoi des quartiers comme Muswell Hill et Crouch End n’ont pas de station de métro: j’ai marché tranquillement, sous les arbres, entre leurs quais en ruines. Et de toutes les balades que j’ai effectuées pour le moment, c’est sans doute la plus belle, celle en tout cas qui me parle le plus: une vraie exploration urbaine, cette longue longue longue étendue qui serpente entre les rues et les maisons, dominant tout, offrant par endroit des trouées visuelles vers les habitations humaines. C’est le plus long parc de Londres: plus de 7 kilomètres.
Tout au bout, après le trajet enclos d’une passerelle métallique sur l’un des périfs, la perspective étroite et fermée s’ouvre soudain en grand, en très vaste: Finsbury Park. Les larges allées et les pelouses immenses roulent calmement au sommet de la colline, sous un ciel alternativement bleu, blanc ou gris. Et puisque j’avais achevé ma précédente balade au bord d’un réservoir, autant recommencer: à une extrémité du parc, je me glisse sur la rive étroite et boueuse de la New River. Qui n’est ni nouvelle ni une rivière, mais un canal étroit et peu profond, creusé au 17e siècle pour apporter de l’eau potable à Londres. Suivant le sillon de cette eau lisse, je rejoins les bords d’un premier lac, l’Eastern Reservoir, et les deux masses liquides, le canal et le lac, de filer parallèles. Enfin, la New River se décide à s’ouvrir au Western Reservoir, et le décor passe du boueux-herbeux au lisse et propre d’une nouvelle résidence, avec un beau sentier en courbe douce. De petits voiliers glissent sur le lac, au loin le soleil forme comme une barre dorée sous les nuages gris, un clocher s’y détache, ainsi que la tour carrée, trapue, des anciennes pompes. Au sortir du sentier, d’autres pompes encore, dissimulées sous la forme d’un château pseudo-médiéval en briques sales. Fin de la promenade, la plante de pieds en feu, il faut encore rejoindre la station de Manor House.