#2312

Lorsqu’est sorti en salles le deuxième film de la trilogie de la « Guerre des étoiles », comme on disait alors, j’avais seize ans. Je n’avais pas vu le premier film, car j’allais extrêmement rarement au cinéma — ça ne faisait pas partie de la culture familiale. En dehors du Disney annuel lorsque j’étais petit, je suis fort peu allé au ciné étant môme. En fait, je me demande même si ce deuxième Star Wars ne constituait pas ma première sortie sans adultes au cinéma. En tout cas, je me souviens avoir également été voir vers la même époque une compilation de dessins animés de « Sylvestre et Titi » (c’était avant que cette tarte de Dorothée nous invente le terme de « Gros minet »), que j’avais adoré comme de bien entendu (ces deux personnages demeurent parmi mes favoris), ainsi que les Trois caballeros de Disney (qui m’avait somptueusement barbé : toutes ces chansons et toute cette drague hétéro, bââââille…). Mais il me semble que le Star Wars était mon premier film. Mes copains n’y allaient pas beaucoup non plus, au cinéma, je crois. En tout cas, on n’en parlait jamais. Ce dont nous parlions, c’était surtout de BD (qu’avec Trong Loc et Emmanuel je découvrais), de bouquins (avec ceux de mes amis qui lisaient : Éric et Greg, particulièrement Greg — notre passion commune pour Bob Morane et Doc Savage), un peu d’art et d’architecture (ben si : on n’était pas en ville nouvelle + à côté de la capitale pour rien), mais surtout de musique. Pink Floyd, Genesis, Tangerine Dream… Supertramp surtout, qui déchaînait notre passion… je découvrais Yes et Vangelis, d’autres aimaient Joe Jackson et Linda Ronstadt… Mais le cinéma ? Non. Pourtant, il y avait bien quelques salles, à Cergy-Pontoise : certaines aux « 3 fontaines », le grand centre commercial, et puis juste sous la pyramide inversée de la Préfecture se logeait un petit centre commercial, qui comprenait une autre salle de ciné.

C’est là qu’avec mon petit frère je suis allé voir les trois films déjà évoqués. J’avais vu à la télé la bande annonce du deuxième Star Wars, j’en avais discuté un peu avec Greg, nous étions très fans de SF, bref : ç’allait être formidable. Oué, bon. Ce ne le fut pas : j’ai trouvé ça sympa mais pas génial, plein de trucs faiblards. Et pourtant, j’en lisais, des daubes, à l’époque. Des Fleuve Noir « Anticipation », des Sheer & Darlton, des vieilleries américaines ringardes… Je n’étais pas blasé, du tout. Mais voir transposés tous ces clichés sur le grand écran, non, pour moi ça ne fonctionnait pas vraiment. Du cinéma, j’attendais plus qu’un mauvais roman ou qu’une série télé comme Cosmos 1999. Beaucoup plus.

PS : Et ne parlons même pas du troisième volet de la trilogie, qui me parut encore plus faible, limite ridicule, plein d’erreurs absurdes (faut pas être un génie pour s’aviser que la course-poursuite entre les arbres, eh bien les gars, à une telle allure ils devraient s’exploser sur les troncs vite fait bien fait).

#2311

Assisté hier soir à une première du film Après mai d’Olivier Assayas, en présence du réalisateur et de deux de ses jeunes acteurs.

Un film d’une grâce insolente, sur une jeunesse du début des années 1970, cette époque où l’on croyait que la révolution était proche. Séquence après séquence, vie quotidienne ou scènes de violence, Assayas ne juge pas, il porte même un regard plutôt bienveillant sur tout son monde, même si sa vision n’est pas dénuée de malice. Drôle et touchant, tendre et superbe… Chaque image est une leçon de cinéma — et à ceux qui croient que le cinéma français intello est « chiant », il faudrait expliquer la puissance d’un tel film, entre brutalité policière, combats de rue, attentat, incendie… Et pourtant tout cela coule, fluide, faussement tranquille. Avec une petite apparition de Johnny Flynn, chantant sur une pelouse italienne ; une musique seventies pur jus (première fois que j’entends du Soft Machine à fond dans un film) ; un très drôle moment sur Maigret, Simenon et Jean Richard ; et même des nazis et un dinosaure !

#2310

C’est avec une tristesse certaine que j’apprends la disparition de Georges Chaulet, le père de Fantômette. Ce grand auteur populaire est décédé le 13 octobre à l’âge de 81 ans, vient d’annoncer son éditeur, Hachette. Georges Chaulet avait créé Fantômette en 1961. Je suis justement en train de commencer à bosser un peu sur un Bibliothèque rouge consacré aux « jeunes détectives » (volume placé sous la direction de mon copain Vivian Amalric), et Richard Comballot envisageait d’interviewer monsieur Chaulet — hélas trop tard. J’ai relu plusieurs « Club des Cinq » déjà et dois aussi relire les « Fantômette », bien sûr. J’avais un peu correspondu avec Georges Chaulet il y a deux ans, quand l’auteur m’avait gentiment fait part de son appréciation du Dico des héros. Fantômette pour moi, c’est un gros morceau d’enfance: j’ai lu et relu tout ce cycle, qui me faisait beaucoup rire, dont j’avais adopté des tas d’expressions (car Chaulet était formidablement créatif, d’ailleurs ses intrigues n’étaient pas du tout répétitives), et je trouvais même que le coiffeur près de chez moi, à Angers, ressemblait d’alarmante manière au Furet… Plus tard, j’ai reconstitué ma collection au fil des Braderies de Lille, à l’amusement de mes petits camarades (je ramassais aussi les Mickey Parade, alors ils avaient nombre d’occasion de me taquiner).

#2309

Journée marathon hier, pour un passage éclair à Paris : devant impérativement être à Lyon ce mardi matin, afin de réceptionner les stocks des Apocalypses ! d’Alex Nikolavitch (un des bouquins des Moutons électriques qui me met le plus en joie, dois-je d’ailleurs dire), j’ai donc « simplifié » mon emploi du temps en un déjeuner avec l’ami JPJ et son gentil camarade (youkaïdi, mon séjour londonien de novembre est donc confirmé), la réunion de représ d’Harmonia Mundi (mois de janvier, février et mars, soit donc six titres, à présenter de manière convaincante en une heure chrono — un exercice plutôt intense), et en fin de journée une petite heure chez madame Groc Chateau, cette formidable vieille dame de 94 ans. Ai emprunté trois modes différents de transport en commun : métro, bus, tram (première fois que je prend un des nouveaux tramways circum-parisiens). Puis le premier TGV qui se présentait direction Lyon. Rentré moulu.

#2308

Lorsque j’ai appris la mort de Roland, début août, j’étais embarqué dans une série d’articles sur Londres à ses différentes époques (modernes) et à travers ses héros, écrivains, mouvements… Xavier en a relu une partie, Julien en a relu d’autres, Laurent Queyssi en a retouché un (sur les sixties bien sûr),  j’étais bien parti, content, et puis. L’arrêt subit. Plus écrit grand-chose depuis, en dehors d’un court papier pour le volume sur Paris. Je dois pourtant me remettre au boulot, finir le papier commencé sur l’après-guerre, écrire ceux sur le début de siècle et sur le Blitz, un sur Paris Années folles, aussi. Oui, il faut. Au lieu de quoi j’ai pris des notes pour des bouquins pour la jeunesse, d’autres pour d’éventuels mémoires (au masculin quand c’est un auteur qui raconte ses souvenirs), bien cogité à ce que je veux faire ensuite, et c’est à peu près tout. Non que je geignes ni ne me sentes aucunement dépressif, il me manque juste l’étincelle, la motivation. Alors en attendant, j’ai continué à lire des choses utiles pour me (re) plonger dans ces époques. Par exemple, un autre polar jeunesse de Malcom Saville : Lone Pince London. Stylistiquement un peu moins léché que Two Fair Plaits mais néanmoins fort plaisant, et donnant un petit aperçu du Londres fifties. Sinon, je trouve toujours à m’occuper : bichonner le (nouveau) site des Moutons électriques, lire et annoter le manuscrit du (fort bon) Stan Lee de Jean-Marc Lainé, boucler des couvertures et corriger des maquettes, transcrire et mettre au propre une interview…

Et puis, lire avec un ravissement complet, un vrai éblouissement, Les Îles de la Lune de Michel Jeury. Un roman de 1979, au Fleuve Noir Anticipation, que j’avais un peu oublié — et que Richard Comballot m’a proposé pour la « Bibliothèque voltaïque », complété d’une nouvelle fin écrite par Jeury trente-trois ans plus tard. Il faut dire qu’à l’époque, contraint par la limitation du nombre de signes imposé par la collection, Michel s’était trouvé soudain arrivé à la fin du livre sans l’avoir réellement bouclé… Cette fois c’est fait, et c’est fascinant, entre l’élan utopiste du roman de 1979 et la fin nettement plus sombre, plus incertaine, de 2012. Les grandes thématiques jeuryennes du doute sur la réalité et des « fugues » dans d’autres dimensions sont bien là, mais aussi un regard aiguë sur les dérives sociétales du libéralisme, la thématique déjà du changement climatique, et des références subtiles à l’histoire de la littérature de science-fiction, en particulier au Demain les chiens de Clifford D. Simak. Tout cela forme un roman formidablement beau, puissant et poétique à la fois, bourré d’images mémorables, pour tout vous dire j’ai retrouvé là tout ce que j’adorais (et que j’adore toujours) dans la « spéculative fiction ». Bref, on a signé dare-dare le contrat et ça paraîtra (déjà) en mai 2013 : un bonheur et un honneur. Âgé de 80 ans, Michel Jeury m’a mis un petit mot qui m’a serré le cœur : « Je suis très heureux de cette publication. Vu mon état de santé, elle pourrait bien être la dernière. »