Ma passion pour la bande dessinée n’a même pas été entamée par mon rejet viscéral du métier de vendeur en librairie, et si, « par manque de numéraires » comme dirait madame Groc, je n’achète vraiment plus beaucoup de bouquins de littérature, plus aucun livre d’art, peu de revues et encore moins de CD, il faut bien avouer que mon mince budget file généralement dans l’achat de bédés. Seulement voilà, problème: je crois bien que je deviens vieux. En tout cas, mes goûts semblent de moins en moins en phase avec la (sur) production actuelle. Et pourtant, bon sang de bois, il y en a, des bédés, tous les mois. Mais je n’y vois guère que des machins de dessin plus ou moins réaliste et en couleurs ordi qui nivèlent le style, des tonnes de thrillers et d’ « héroïc fantasy », comme disent les gens. Beurk. Alors je peine à trouver des choses qui me séduisent, et ça m’attriste un peu. Pour un Cité 14, que j’adore vraiment (suis bien content que les Humanos en aient repris la publication, nonobstant l’accroissement monstrueux du prix de vente) ou un Lincoln de Jouvray, pour un nouveau Hubert ou Vehlmann (deux scénaristes dont j’achète tout), des monceaux de grands albums qui me paraissent tous pareils, sombres de couv et verdâtres d’intérieur. Pff.
Alors faut bien que j’assume le fait d’être apparemment devenu un peu « vieux con », et je me réjouis de la mode actuelle de très belle « intégrales ». Dans le temps, les « Tout » de chez Dupuis étaient franchement moches, mais quel progrès, maintenant la prod de chez Dupuis Patrimoine est absolument impeccable et j’entasse avec délectation leurs gros tomes omnibus. Bon, chez Casterman c’est pas encore ça, leurs Macherot ont des traits trop gras et un papier bêtement brillant (sans parler des multiples et honteuses catastrophes qui entachaient un tome 2 bâclé), mais par ailleurs quel bonheur de lire chez les toujours excellents Cornélius le début d’une anthologie des Pepito de Bottaro — somptueusement reproduits, et avec une bichro ravissante sur certaines histoires. Ça c’est de l’édition. Surprise, immense surprise: Glénat va sortir une intégrale des… Tom Carbone?! Ça alors! Jamais je n’aurais osé rêver de cela — j’adore cette série, furieusement non-sensique, que Spirou cessa vite de publier en français. J’ai même sur mon frigo un « magnet » Tom Carbone, offert par JPJ. On doit pas être nombreux à avoir ça. Et Dupuis d’annoncer une intégrale des Phil Perfect de Serge Clerc: étonnant. Oh, et le retour des Rork d’Andreas, au Lombard. Bref, niveau rééd on est réellement gâtés en ce moment, et je craque même pour des Petits hommes pourtant pas bien géniaux…
Du coup, la bédé prend de plus en plus de place sur mes étagères. Au salon, la plupart des romans en hardcovers ont filé en caisses à, la cave ou en tas sur une étagère basse, pour faire place à des bédés, toujours plus de bédés: les beaux Dan Dare chez Titan, les Carl Barks chez Glénat, les Floyd Gottfredson en américain, Rip Kirby, King Aroo, The Little King, Pogo, et tous les lourds volumes de chez Dupuis & Cie… À défaut d’être à la page, je me replonge dans le patrimoine.