#2372

J’avais quelques sous encore à dépenser et j’attendais l’Eurostar qui me ramènerai sur le continent. J’étais donc allé faire un petit tour dans la librairie Foyles de la gare de St Pancras, librairie qui, pour un magasin de gare, est étonnamment bien tenue et diverse, une vraie librairie, pas un simple vendeur de best-sellers comme tant que gestionnaires imbéciles le voudraient. Non loin de l’entrée, une table de livres sur les jardins et la nature attira mon regard.

Ah, les jardins et la nature ! Deux grandes passions bien anglaises. Les citoyens de l’archipel britannique semblent entretenir avec leur environnement un lien plus étroit, en tout cas assez différent, de celui des citoyens français. Il y a belle lurette que je m’esbaudis des émissions de jardinage en prime time, que je me régale des documentaires anglais sur des jardins ou sur des promenades naturelles (j’ai suivi avec autant de passion qu’une série télé les documentaires A Year in Kew ou Coast, par exemple) et que je me réjouis de l’interaction de cette culture botanique avec certains aspects bien anglais de la fiction (les jardins et le polar, dans la série Rosemary & Thyme ; les jardins et la science-fiction, dans le délicieux téléfilm The Plant). Oh, ce n’est pas qu’il n’existe pas une tradition horticole française, bien sûr — et de vrais passionnés, tel mon papa à moi que j’ai, qui est passé à la télé pour ses iris et qui tient un blog depuis presque aussi longtemps que moi, Irisenligne — mais le rapport britannique au jardinage et à la nature me semble plus intime, en tout cas plus généralisé et plus reconnu, l’histoire d’amour d’une nation.

Ayant en tête la nécessaire rédaction du troisième Dico féerique (que je n’ai encore qu’à peine entamée, d’ailleurs, faut vraiment que je m’en occupe), le tome consacré à la féerie végétale, je regardais donc cet étalage avec une vague curiosité — et tombais amoureux d’une couverture, celle de Wildwood par Roger Deakin. Sous-titre : « A Journey Through Trees ». Mon camarade Julien se moque souvent de mon goût pour les images d’arbres sur des couvertures… mais c’était plus que cela : ces formes en simple aquarelle, la texture du papier, l’embossage du titre, tout me séduisit dans ce Penguin. Et tant qu’à faire, j’achetais aussi Weeds (« The Story of Outlaw Plants ») de Richard Mabey et Beechcombings (« The Narratives of Trees ») du même.

Bien plus tard, je me plongeais dans Wildwood de Roger Deakin… et tombais amoureux de cette prose formidable, si belle, si personnelle, et du mec qui avait écrit ces lignes, un vieil écolo hélas décédé en 2006, juste après avoir terminé d’écrire son livre. Et puis, tiens, mais je l’avais vu, ce Roger Deakin, dans une série documentaire (Countrytracks, compilant région par région des tas de documentaires sur la nature avec des reportages nouveaux). Roger Deakin y nageait dans un fossé tourbeux, en expliquant le plaisir qu’il y avait à nager dans la nature — étrange… Ah mais voici l’explication: Roger Deakin est devenu célèbre outre-Manche pour son premier livre, Warterlog, un tour de l’archipel britannique en nageant un peu partout dans la nature. Une démarche étonnante, qui a mis à la mode le « wild swimming », mode à laquelle effectivement j’avais vu quelques allusions dans les documentaires Coast… Et moi de lire Wildwood, avec une délectation, une jubilation, que je réserve d’ordinaire à certains poètes. Et de  ralentir ma lecture, tellement j’avais envie de ne pas quitter trop tôt ce livre, cet étonnant voyage entre autobio et essai, entre histoire naturelle et histoire de l’art : Deakin de chapitre en chapitre passe avec naturel de l’évocation d’un arbre dans son jardin à celle d’une artistes de sa connaissance, d’une promenade à du land art, son style est de toute beauté, et là-dessus flotte un brin de nostalgie, de tristesse, celle de savoir qu’un homme aussi remarquable a été emporté soudain par un cancer. Bien sûr, j’ai voulu lire Waterlog — je suis encore plongé dedans, si j’ose dire. Et après sa mort, des amis ont sélectionné dans ses copieux journaux les Notes from Walnut Tree Farm, que je dois encore lire.

Mais Roger Deakin n’est pas vraiment mort, c’est extraordinaire comme son souvenir est perpétué : dans un documentaire, une des anciennes animatrices de Coast, Alice Roberts, a décidé d’aller nager dans la nature comme son idole, rencontrant au passage la veuve et un copain de Deakin.  Le tout ponctué par la voix de Deakin lui-même, lisant à la radio des passages de Waterlog. Un hommage incroyablement touchant et poétique, sous la forme d’un documentaire au sujet a priori si peu commercial, si personnel — mais on est en Angleterre, le documentaire y est un art reconnu et les chaînes sont capables de diffuser de tels films à des heures de grandes audience. Et puis en cherchant une référence sur Amazon, voici que je trouve un beau livre à paraître bientôt, par un copain de Deakin, retraçant des promenades qu’ils ont faites (par Robert Macfarlane, auteur lui-même de plusieurs livres dans le même genre que ceux de Deakin, il faudra que je me les procure un jour). Je crois que je ne vais pas quitter de sitôt l’univers de Roger Deakin, sa voix, ses amis — et sa vision, celle qui consiste à se glisser dans la peau de la nature, à la pénétrer au plus près (ce rêve de Jacques Lacarrière, déjà, dans Le Pays sous l’écorce). Et que j’y reviendrais souvent. Au moment où je rédige ces lignes, je viens de dénicher par exemple ce texte lu par Deakin. Je suis un grand amateur de la nature — lorsqu’elle se niche dans les pages des livres !

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Une réflexion sur « #2372 »

  1. Je note précieusement et dépose le nom de ma dernière découverte en la matière : Around the World in 80 Gardens (j’y ai découverte la jungle surréaliste d’Edward James, entre autres choses), le regard d’un jardinier anglais sur d’autres créations m’a vivement intéressée. Mais vous l’avez peut-être déjà vu/lu 😉

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