#2435

Il y a trente ans, étudiant, connaissant encore mal Bordeaux, je suis passé en voiture avec Francis Valéry devant l’église du Sacré-Cœur. Dans la lumière rasante et chaude d’une fin d’après-midi, cette façade fraîchement restaurée, fugitivement aperçue, m’avait semblé être construite toute en sable, comme un gigantesque château sur la plage. Trente années plus tard, j’habite tout près — la pollution l’a souillée de nouveau, j’aime malgré tout son double clocher à la toiture arrondie, comme des doigts tendus.

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#2434

Hier soir, après minuit : un ronflement monte puis la grêle martèle rageusement le vasistas. Un grand craquement dans le ciel, un éclair blanc — et c’est le noir, plus d’électricité dans la maison. Heureusement avais-je déjà repéré où se trouve le disjoncteur. Mais la réalité avait rejoint la fiction : au moment du coup de tonnerre, je finissais de relire Fantômette et la grosse bête et en étais arrivé à l’annonce radio qui explique comment la jeune héroïne a échappé à une explosion : « … Le courant a donc été coupé dans toute la région… » Je débute ensuite la lecture des Carnets de Fantômette : « Dehors, orage et vent, pluie et tempête. Un temps à ne pas mettre un chat dehors. Mon front était collé aux carreaux que la pluie faisait pleurer, et je n’avais pas envie de sortir. Que l’on est bien à la maison quand il fait mauvais dehors !« 

#2433

Un faible choc, un autre, dont le son tombe au sein de la rumeur de la pluie, comme si quelque oiseau avait heurté les tuiles du toit. Je monte à l’étage, ne vois ni n’entends rien bien entendu. Assis de nouveau dans le coin du canapé, un autre son inconnu me fait relever la tête de ma lecture : un froissement, quelque chose bruissant du côté de la cuisine. Sans allumer je me glisse vers la porte-fenêtre, espérant surprendre peut-être un chat en visite. Quelques cartons entassés à plat sur la terrasse ont glissé, le vent ? Mais non, le bruissement est au-dessus de la buanderie, je pense tout d’abord à des pigeons mais enfin les oiseaux dorment la nuit, me semble-t-il, alors une chouette ? Ce serait beau et plaisant mais parions plutôt sur un quelconque félin du voisinage. Fuite furtive d’un chat en maraude, ou bien en promenade de santé ? Le vent se lève à nouveau qui couvre son passage.

#2432

Contemplant ce matin mon jardinet sous le morne frémissement gris d’une averse, j’ai pensé au mot « fagne ». Un joli mot que l’on n’utilise plus guère je suppose, mais à force de tant d’eau, de tant de pluie, peut-être la parcelle de mauvaises herbes va-t-elle finir par se faire fagne ? « Parcelle » est bien le terme, en tout cas : après une large et longue terrasse de pierre, sous le haut mur ne reste qu’un espace de quoi ? Deux mètres de profondeur, à peine plus, où ne pousse encore que du trèfle et un maigrelet rosier. J’ai bien l’intention d’aménager tout cela, et maintenant que l’intérieur de la maison est presque terminé (à part le bureau, ne manque plus qu’une bibliothèque et à installer la chambre d’été) l’envie m’en démange, mais ça devra attendre des jours plus cléments. Ce matin, me voyant sortir par la porte-fenêtre un énorme carton, les chattes ont vaguement réalisé qu’il y avait un dehors.

#2431

Penché tout à l’heure sur l’âtre, essayant d’allumer une petite flambée afin de chasser un peu l’humidité de l’air, j’entendis la ville. Dans la maison, on ne la perçoit guère, tout au plus un grondement ferroviaire, parfois, le soir alors que dans mon lit, sous le toit, je bouquine encore avant d’éteindre. Mais la cheminée, elle, trace un chemin vertical directement vers les bruits de la ville. Le chuintement d’une voiture passant sur la chaussée mouillée, la sirène d’une ambulance, le cloc-cloc-cloc d’un train, un rire de femme, un aboiement, un tintement. Assourdis, flottants. Ainsi par le conduit de la cheminée, la maison laisse-t-elle pénétrer juste une mince rumeur urbaine, inaudible si je relève la tête.