#2490

Bon d’accord, il faut reconnaître qu’hier j’ai peut-être fait un peu trop fort. 24 km de promenade, hem, au retour j’étais un tantinet fatigué et la plante des pieds douloureuse, en dépit de mes nouvelles chaussures qui sont comme des pantoufles de ville… Pourtant j’avais fait une grosse insomnie – j’en avais profité pour commencer à lire le nouveau Lord Peter… Nouveau Lord Peter, en 2013, le concept ne cesse de m’étonner mais Jill Patton Walsh a bien publié un nouvel apocryphe d’après Dorothy Sayers, toujours aussi impeccable. Bref, au réveil je me sentais reposé, paradoxalement, et n’avais enfin plus mal au dos. Je suis donc parti pour le sud-ouest, une balade du Capital Ring (les longues promenades vertes autour de Londres) qui pouvait partir de la station Balham du métro. De là, j’ai donc traversé Tooting Bec Common, Wandsworth Common, le cimetière de Earlsfield, jusqu’à Wimbledon Park. Des parcs, des forêts, des lacs, d’immenses pelouses… La vastitude et le nombre de ces espaces verts sont proprement prodigieux…

Et puis j’ai continué, enivré de grands espaces : Putney Heath et finalement Richmond Park, plus grand espace vert urbain d’Europe. Extraordinaire, vraiment sauvage, et à perte de vue. J’ai vu des cerfs, plein. Dans les fougères, dans les hautes herbes blondes, dans la bruyère rose. Et j’ai marché, marché. Là où ça devint dur c’est une fois revenu en ville, descendre tout Richmond Hill (quelle vue incroyable sur la Tamise!) jusqu’au pont et remonter à la station de métro, raah. Mais qu’importe, ce fut bien, incroyablement beau, toute cette nature immense alors que les avions ne cessent de tracer leur route au-dessus des cimes, que l’on n’est jamais bien loin (sauf dans Richmond Park…) d’une route ou d’une autoroute, que percent au-dessus des cimes quelques toits et que, de temps en temps, l’on traverse une rue calme et résidentielle. J’ai vu des canards, des oies, des foulques, des cygnes, des écureuils, des pies, un geai, des grenouilles, des cerfs, un énorme héron… Et j’ai mangé des mûres, ce sera le goût de ce séjour, je crois, celui des mûres. Et l’odeur de l’humus, de l’herbe, la flagrance des ifs quand je me suis arrêté pour bouquiner un peu au bord d’une pelouse infinie… Ah dommage que la marche ne fasse pas maigrir, j’aurai une taille de jeune fille.

#2489

RDV hier soir avec une éditrice américaine – oui faut pas croire, je bosse, aussi, je ne fais pas que me balader. Et autre RDV demain, ce qui est bien satisfaisant. Même si de fait je découvre que les chiffres des petits éditeurs anglais… sont grosso-modo les mêmes, dans la même taille économique, que ceux des français. Et sur Charing Cross j’ai été visiter la nouvelle librairie Foyles, qui a déménagé de quelques mètres. C’est splendide, et comme chaque fois je suis soulevé d’enthousiasme par pas mal de couvertures anglaises, y’a pas, c’est l’esthétique que j’aime. Mais tout de même: il ne reste plus que Foyles, sur cette avenue, et Forbidden Planet pas loin, alors qu’il y a peu d’années il y avait encore Books Etc en face et Blackwell’s un peu plus loin. Sans parler encore un peu avant, d’un Dillons, du Waterstone historique, de Murder One et de tous les bouquinistes… Les livres disparaissent…

J’aime relier les endroits par des pointillés. En clair, savoir où chaque lieu se situe par rapport aux autres. Aujourd’hui par exemple j’ai refait la promenade qui part de Cherrytree Wood près d’chez moi (si j’ose dire), en passant par Highgate Wood, Queen’s Wood et Parkland Walk. Extraordinaire trajet uniquement dans les bois, de parc en parc. La première fois j’avais fait cela en automne, feuilles dorées sur les branches et feuilles rouges au sol. Cette fois, tout est vert, touffu, sombre, c’est encore plus impressionnant. Comme une série de tunnels verts, par endroits. Enfin bref, débouchant sur Finsbury Park, au lieu de poursuivre la randonnée vers les lacs réservoirs et Clissold Park, j’ai eu envie – well, tout d’abord de me reposer, j’ai donc bouquiné un bon moment, le dos contre un bouleau et le fessier dans l’herbe (je suis dans Dream London, intrigante fantasy urbaine de Tony Ballantyne). Et eu envie, disais-je donc, de descendre jusqu’à St. Pancras afin de relier ce lieu-ci au parcours que je faisais d’antan pour aller à la regrettée librairie Fantasy Centre. Et hop.

Dans le roman de Ballantyne, tout change en permanence, Londres grandit et se gauchît, s’étire, se transfigure. Ce qui est assez vrai également de la réalité: arrivé aux abords du bas de Holloway Road, je constate que tout est en train de se bobo-iser, à la place de la librairie est un delicatessen italien, l’épicerie pakistanaise à côté est devenue un beau supermarché haut de gamme très chic, les murs du jardin de St. Mary Magdelen sont tombés, transformant ce parc sombre en un endroit plus ouvert… Vous me direz, tout s’améliore, donc? Yep, mais dans le sens d’une gentrification accélérée, les pauvres repoussés toujours plus loin. Je traverse le quartier ravissant de Barnsbury, autrefois secret bien gardé (un havre bourgeois et vert coincé entre les poches de pauvreté et les cités de King´s Cross, Caledonian Road et Holloway Road, un des plus beaux quartiers que je connaisse). Secret no more, et les dernières petites maisons modestes sont tombées, remplacées par de beaux immeubles ultra modernes le long d’un côté d’Harundel Square. Quand à mon jardin favori du quartier, Barnard Park, il a commencé à se faire grignoter sur les bords par de superbes nouvelles maisons aux façades en allu. Tout change, tout grandit, les riches poussent comme du chiendent.

#2488

Vendredi matin, après six mois d’attente et plus d’un mois de retard de livraison (commander par correspondance est toujours une épreuve), enfin les bibliothèques du bureau sont arrivées. Branle-bas de combat et aides amicales, fort heureusement, de la part du traducteur de GRR Martin, d’un auteur de chez Denoël, d’un dessinateur de Sherlock Homes et, préposée aux photos d’ambiance, d’une copine journaleuse. Monter les étagères ne nous prit guère de temps, en revanche les remplir m’occupa deux bonnes journées. Un nouveau rêve se réalise, et mon « manoir » se complète finalement. Des bibliothèques sur deux murs, jusqu’au plafond… et déjà bien pleines, faut-il l’avouer ?

Car… eh bien, une évidence s’impose : il faudra encore d’autres étagères, au-dessus des portes. Je m’y attendais, remarquez, mais c’est fou comme on n’a jamais assez de place… Sinon, trié tout de même plus d’une centaine de bouquins, qui vont aller peu à peu dans la « boîte à livre » à l’entrée de Bègles (sympa, ce système bordelais de livres gratuits échangés). Et pas trop de bobo, juste trois ou quatre jaquettes cassées ou froissées, je m’attendais à pire. Suis éreinté, je vais partir à Londres passablement fatigué.

#2487

Grand bruit de ferraille : une pie a jeté un fruit dans la goutière de la maison d’à côté, et le picore. Le fruit roule dans le zinc, fait un vacarme terrible. Le faucon passe soudain, volant bas, traçant sa diagonale dans le ciel. La pie sursaute, se barre en rase-tuiles. Peu après un pigeon vient se jucher sur l’antenne, surveillant le toit d’un air serein.