#6138

J’ai songé à Graham Joyce, tout à l’heure. L’un de ses romans s’intitule The Ghost in the Electric Blue Suit et comme je faisais une grande promenade en ville, je vis près de la librairie Mollat un homme planté immobile sur le trottoir, vêtu d’un costume-cravate… jaune fluo, vous savez, ce jaune-vert qui tire sur les yeux et semble piquer le réel. Je n’ai pas osé le photographier, les fantômes étant susceptibles. Mais de la flore des trottoirs, c’est la plus étrange que j’ai observé ce jour.

#6137

Le poète beat Lawrence Ferlinghetti nommait cela un « fish-sky at morning », et vraiment on a bien un ciel de poisson plein d’écailles : après pluie et tempête, le calme revenu, c’est ciel bas et gris ce matin, vaguement fumeux, un peu nervuré de lumière, mais le plaisir de marcher quand même dans les rues avoisinantes, pour songer à Bodichiev et son univers, son voyage à New York (car que serait un Bodichiev sans un peu de voyage ?) et les enquêtes sur des fantômes.

#6152

On leur dit ? Depuis tant et tant de décennies, les politiques soutiennent des campagnes de répression contre les trafics de drogues, dont ceux du haschisch, des dépenses somptuaires qui pèsent sur l’Etat et les citoyens sans jamais d’autre résultat que le maintien de la délinquance. Et pendant ce temps, beaucoup de monde semble avoir oublié que le canabis n’est pas légal : chaque fois que je marche dans Bordeaux le soir, je sens de fortes effluves de cette fumette. Cela fait trois nuits de cette rentrée que je rentre tard, et c’est toujours la même chose : des nuages de chichon çà et là par des fenêtres, et même avant-hier soir des bouffées en terrasse du pub. Je n’ai jamais fumé et n’en ai nullement l’intention, mais m’amuse de la complète inanité de cette prétendue illégalité que chacun bafoue tranquillement dans l’espace public.

#6136

Hier matin je me suis réveillé comme je venais de rêver d’un ancien camarade de fac, qui m’expliquait ce qu’il avait fait depuis – sauf qu’il semblait être encore dans la trentaine, tant il est vrai que je ne me rêve jamais vieux. En ouvrant les yeux, j’ai pensé « Pierre », me souvenant soudain de son prénom, et dans le même élan j’ai réalisé que ce camarade n’avait jamais existé. Restant couché encore quelques minutes, je me suis rendu compte que ce Pierre imaginaire brassait des souvenirs épars de quatre garçons différents – dont trois se prénommaient effectivement Pierre, je crois. Puis repensant à ce rêve, où je me promettais maintenant que j’étais de retour à Bordeaux d’aller revoir d’anciens lieux de mes études, j’ai compris avoir pour de bon fait un retour : pour la première fois en plus de 10 ans que je suis revenu vivre à Bordeaux, je venais… de revenir à Bordeaux, mais l’autre, celui des songes de villes que je faisais autrefois, à Lyon. Ces lieux dont je me souvenais et que je me promettais de revoir n’existaient pas, eux non plus : ils appartenaient au paysage de ces rêves urbains récurrents qui un temps occupaient mon imaginaire nocturne. Je les ai bien reconnus. Me voici donc enfin de retour à Bordeaux – des deux côtés du réel. Une forme de réconciliation.

#6125

Fort mal dormi la nuit dernière, les orages tournaient, partaient, voguaient, cognaient, grondaient, et la pluie revenait sans cesse, crépitante ou hésitante. Chaque fois je me disais que c’était excellent pour le jardin, tout ce ciel déversant son eau en grand qui m’éviterait un arrosage matinal. La chaleur, le vent, le bruit, difficile de plonger profond dans le sommeil. Et dans les rues, quelques heures auparavant, les parfums du jasmin et du tilleul exacerbés par la moiteur devenaient presque intoxiquant.