#4069

« Il connaissait cette ride de réflexion sur le grand front carré de Bodichiev, le pli maussade au coin de sa bouche. »

Oh oui, là ça tourne un petit peu à l’obsession : la nuit dernière, je me suis soudain réveillé avec deux scènes distinctes en tête, que j’ai vite rédigées – enfin, au moins une amorce de quelques paragraphes à chaque fois, sans quoi j’aurai déroulé les deux chapitres et ne me serais jamais rendormi… Sommeil retrouvé, pourtant je me suis encore réveillé quelques heures plus tard, tout heureux d’avoir enfin trouvé le « gros truc » qui va vraiment marquer l’intrigue de mon roman. Et de prendre encore quelques notes sur l’iPhone. Pfiouh, dite-moi, ne me cachez rien, c’est grave docteur ?

#4066

Un matin gris sur lequel la pluie déverse sa chanson limpide et molle. Peu de pas troublent les pavés luisants, et même les lointains les plus proches paraissent couverts d’une humide poussière.

« Il fit donc comme il en avait l’habitude : flâner, « respirer » l’atmosphère, tenter en quelque sorte d’absorber par ses pores ce que son cerveau n’analysait pas encore. »

#4065

Mais si : documentation. Oh certes j’utilise ce terme en clin d’œil à notre regretté Joseph, mais c’est réel. Il faut vous dire que depuis le début de la pandémie, je lis, en dehors des manuscrits ovins et de mon régime de bédé, je lis essentiellement de mon point de vue d’écrivain. Je veux dire : je suis revenu à une cure de français parce que je faisais des anglicismes, pensais même trop souvent en anglais, il convenait de remédier à cela ; foin donc de mes habituelles lectures en VO, j’ai lu Proust et Loti, Modiano et Le Guillou, Sagan, Ohl, Aymé, Giono, Perret, Samain, Karr, Owen, Carco, Salmon, Jaccottet, Simenon, Maupassant, qui sais-je encore ? Et du polar fifties car il me semble qu’à partir des années soixante la langue a changé, s’éloignant de ce lyrisme classique que je préfère : alors des auteurs oubliés du Masque, du Fleuve ou de Fayard… A la recherche de la musique du français, mais aussi des ambiances, des tournures, quelques détails narratifs, tout pour alimenter la petite machine à imaginer une uchronie. Et en dépit des soucis de santé, s’accrocher, se pousser à écrire, devenir un peu obsessionnel au point que la nuit parfois je profite d’une insomnie pour écrire une scène, ou juste un paragraphe, qui serviront plus tard, portés sur le carnet virtuel du téléphone. Quatre volumes parus, trois autres déjà écrits, et un plus gros roman qui me tourne en tête, se construisant en dépit des doutes.

#4062

« En attendant, une soixantaine d’années de ruine accumulait des entrepôts noircis, des murailles de brique délavée, tout un décor aux couleurs neutres et tristes : celles du vitriol, de la mauvaise terre ou du fer battu. Hautes herbes, chiendent, buddléias arrimés partout, des arbres poussés au milieu de cours, des bosquets au coin des façades. Un vent acide poursuivait le détective. Curieusement, alors que l’on s’attendrait à ce que tout soit abandonné, çà et là des grappes de maisons subsistaient encore, un pub isolé à la haute façade jaune, le fronton bas et gris d’une école. Mêmes causes, mêmes effets, l’on aurait pu se trouver dans un quelconque bourg éloigné de l’East End londonien. »
 

Il y a une quinzaine d’années, j’avais attrapé une bonne grosse grippe. Je brûlais de fièvre à petit feu toute la journée et, lorsque je rentrais chez moi, j’avais le cerveau en ébullition et notais plein de choses dans un carnet destiné à cela, placé bien en vue sur mon canapé : de cette poussée de fièvre date le premier synopsis de ce qui est devenu le roman Menace sur l’Empire, mais aussi les deux amorces de la novella que j’achève, Les Arrière-mondes.

#4060

« Rencogné à une fenêtre, casquette vissée sur le crâne et regard sur le dehors, Bodichiev dévora le spectacle. Rien vers Wembley, rien non plus vers Hayes. Le cheminot avait vu juste : au bord de la voie, comme le train approchait de Slough, se déroula une vision post industrielle. À commencer par l’usine Horlicks, bâtisse de brique austère dont la grande tour crénelée, telle une sentinelle médiévale, voisinait avec une haute cheminée noircie qui semblait figurer sa lance. Après ce compromis entre la masse industrielle et le castel écossais, le talus grimpait. Bodichiev vit passer les immeubles décrits par les deux sœurs. Jusqu’à la petite ville se dessinait un décor d’abandon et de misère. »

Novella (185 000 s.) terminée, du moins pour le premier grand passage. Détails à régler, relecteur sans pitié, éditeur… il reste à faire, bien entendu, mais le principal est là. Et le programme que je m’étais initialement fixé pour cet été est enfin achevé : un recueil et deux courts romans, hop. Petit soupir de satisfaction.