#5167

C’est bien Imbolc, le retour de la lumière. Me suis interrompu tout à l’heure en vue d’une course trop longtemps repoussée. Cette grande luminosité hivernale, dorant les façades, quel bonheur. J’avance dans mon travail du moment, très concentré : suis à un peu plus de la moitié de la relecture de mon roman. Cette brève marche dehors m’a fait cogiter. Quelques petits chapitres supplémentaires et des aménagements utiles. Plus la manière d’intégrer une nouvelle ancienne à cet univers. Right-oh !

#5160

Mi octobre dernier, une librairie d’imaginaire s’est ouverte à Bordeaux, dirigée par ma chère amie Nathanaëlle. Ce local qu’il nous a été possible de louer, au 20 rue du Mirail, en bas de l’hôtel de la Perle (ou hôtel Saint-François), j’avais déjà une longue histoire avec lui. D’abord, j’avais brièvement fait un stage dans la librairie anarchiste qui, au mitan des années 1980, se tenait en ces lieux. Et j’avais visité plusieurs fois cet étonnant immeuble, au point que révisant ma vieille nouvelle « Un ange sur le banc » pour une revue qui me l’a demandée, j’y retrouve avec amusement cette description :

« Nous nous promenions rue du Mirail, lorsque j’avisai un porche. Un escalier montait dans un vieil immeuble. La puissance de l’impression de déjà-vu me fit frissonner. Nous grimpâmes l’escalier obscur. S’ouvraient d’un côté la porte d’un hôtel, de l’autre une minuscule cour moussue. J’étais abasourdi : je connaissais ces lieux, mais pas pour les avoir visités dans ce monde, non. Je redescendis les marches quatre à quatre, suivi par mon ami passablement médusé, puis contournai l’angle de l’immeuble. Là, sur une rue étroite, s’élevait la façade colossale de l’hôtel, pyramidale, ornée de statues rongées par l’âge, son rez-de-chaussée condamné. Peu importait son état ; le même hôtel s’élevait dans une des villes de mes « visites », pas très loin de chez Pierre-Jean l’Érudit. Le même hôtel : menaçant ruine dans cette petite rue Saint-François de Bordeaux, blond et imposant de l’Autre Côté. Un ami de Pierre-Jean habitait dans la petite cour, derrière la porte bleue ouvrant sur la mezzanine… Fugitive, l’envie me vint d’aller y frapper. Je me retins, réalisant l’absurdité de ma situation. Dans la réalité, ici et maintenant, les habitants de l’immeuble me seraient inconnus. »

#5151

Dans mon court roman Menace sur l’Empire, troisième des Bodichiev, j’avais commis un sacrilège en cassant une statue londonienne que j’aime beaucoup… Ah, quand retournerai-je à Londres ?

Chapitre III
Mardi 7 août, 03 : 47, Torrington Square

Avec un claquement sourd, la statue du philosophe tamil Thiruva’l’luvar se fend en deux, dans la diagonale du buste. Le calme visage de pierre bleue roule dans l’herbe, en fumant légèrement. Un renard s’enfuit dans l’ombre de l’université, laissant échapper, en staccato régulier, quelques yak yak secs pour tout reproche. La bruine forme un brouillard rougeâtre dans le halo des réverbères. La destruction de la statue sera mise au crédit d’un regrettable vandalisme, échappant ainsi au décompte des événements étranges.

#5142

« C’est là le genre de fausse raison qui… » Proférée d’une voix lasse, cette phrase ne fut pas achevée. Celle qui venait ainsi de parler à voix haute, seule dans la grande pièce pénombreuse, se passa une main sur le visage, comme pour éponger un peu de sa fatigue. Avec un soupir et quelques pas, elle s’assit, un coude appuyé sur le coin de la table. Il lui restait tellement à faire. D’un geste machinal, elle tira sur les deux pointes de son gilet, les yeux baissés.
« Je suis désolée mais il est trop tard pour que je continue à faire le docteur Watson pour vous », murmura-t-elle en songeant à monsieur Bodichiev.