#2489

RDV hier soir avec une éditrice américaine – oui faut pas croire, je bosse, aussi, je ne fais pas que me balader. Et autre RDV demain, ce qui est bien satisfaisant. Même si de fait je découvre que les chiffres des petits éditeurs anglais… sont grosso-modo les mêmes, dans la même taille économique, que ceux des français. Et sur Charing Cross j’ai été visiter la nouvelle librairie Foyles, qui a déménagé de quelques mètres. C’est splendide, et comme chaque fois je suis soulevé d’enthousiasme par pas mal de couvertures anglaises, y’a pas, c’est l’esthétique que j’aime. Mais tout de même: il ne reste plus que Foyles, sur cette avenue, et Forbidden Planet pas loin, alors qu’il y a peu d’années il y avait encore Books Etc en face et Blackwell’s un peu plus loin. Sans parler encore un peu avant, d’un Dillons, du Waterstone historique, de Murder One et de tous les bouquinistes… Les livres disparaissent…

J’aime relier les endroits par des pointillés. En clair, savoir où chaque lieu se situe par rapport aux autres. Aujourd’hui par exemple j’ai refait la promenade qui part de Cherrytree Wood près d’chez moi (si j’ose dire), en passant par Highgate Wood, Queen’s Wood et Parkland Walk. Extraordinaire trajet uniquement dans les bois, de parc en parc. La première fois j’avais fait cela en automne, feuilles dorées sur les branches et feuilles rouges au sol. Cette fois, tout est vert, touffu, sombre, c’est encore plus impressionnant. Comme une série de tunnels verts, par endroits. Enfin bref, débouchant sur Finsbury Park, au lieu de poursuivre la randonnée vers les lacs réservoirs et Clissold Park, j’ai eu envie – well, tout d’abord de me reposer, j’ai donc bouquiné un bon moment, le dos contre un bouleau et le fessier dans l’herbe (je suis dans Dream London, intrigante fantasy urbaine de Tony Ballantyne). Et eu envie, disais-je donc, de descendre jusqu’à St. Pancras afin de relier ce lieu-ci au parcours que je faisais d’antan pour aller à la regrettée librairie Fantasy Centre. Et hop.

Dans le roman de Ballantyne, tout change en permanence, Londres grandit et se gauchît, s’étire, se transfigure. Ce qui est assez vrai également de la réalité: arrivé aux abords du bas de Holloway Road, je constate que tout est en train de se bobo-iser, à la place de la librairie est un delicatessen italien, l’épicerie pakistanaise à côté est devenue un beau supermarché haut de gamme très chic, les murs du jardin de St. Mary Magdelen sont tombés, transformant ce parc sombre en un endroit plus ouvert… Vous me direz, tout s’améliore, donc? Yep, mais dans le sens d’une gentrification accélérée, les pauvres repoussés toujours plus loin. Je traverse le quartier ravissant de Barnsbury, autrefois secret bien gardé (un havre bourgeois et vert coincé entre les poches de pauvreté et les cités de King´s Cross, Caledonian Road et Holloway Road, un des plus beaux quartiers que je connaisse). Secret no more, et les dernières petites maisons modestes sont tombées, remplacées par de beaux immeubles ultra modernes le long d’un côté d’Harundel Square. Quand à mon jardin favori du quartier, Barnard Park, il a commencé à se faire grignoter sur les bords par de superbes nouvelles maisons aux façades en allu. Tout change, tout grandit, les riches poussent comme du chiendent.

#2488

Vendredi matin, après six mois d’attente et plus d’un mois de retard de livraison (commander par correspondance est toujours une épreuve), enfin les bibliothèques du bureau sont arrivées. Branle-bas de combat et aides amicales, fort heureusement, de la part du traducteur de GRR Martin, d’un auteur de chez Denoël, d’un dessinateur de Sherlock Homes et, préposée aux photos d’ambiance, d’une copine journaleuse. Monter les étagères ne nous prit guère de temps, en revanche les remplir m’occupa deux bonnes journées. Un nouveau rêve se réalise, et mon « manoir » se complète finalement. Des bibliothèques sur deux murs, jusqu’au plafond… et déjà bien pleines, faut-il l’avouer ?

Car… eh bien, une évidence s’impose : il faudra encore d’autres étagères, au-dessus des portes. Je m’y attendais, remarquez, mais c’est fou comme on n’a jamais assez de place… Sinon, trié tout de même plus d’une centaine de bouquins, qui vont aller peu à peu dans la « boîte à livre » à l’entrée de Bègles (sympa, ce système bordelais de livres gratuits échangés). Et pas trop de bobo, juste trois ou quatre jaquettes cassées ou froissées, je m’attendais à pire. Suis éreinté, je vais partir à Londres passablement fatigué.

#2485

Banalité que de le dire, mais je ne me lasse pas (encore) de m’étonner à quel point les « mauvaises » herbes poussent bien plus vite que les « bonnes », tel ce minuscule brin de laurier qui ne semble pas avoir poussé d’un pouce depuis que par mère l’a découvert, tandis qu’autour de lui je ne cesse d’arracher de grandes et vigoureuses horreurs.

Autre sujet d’étonnement (agréable), le fait que la maison se salisse si peu. Comparé à la grasse et noire poussière de Lyon, où je m’escrimais en permanence à laver, épousseter, nettoyer, ici en dehors des poils de chat il n’y a pas réellement de pollution perceptible. En revanche, je balaye souvent les carreaux en pierre de la terrasse. L’esquisse d’orage d’hier avait fait tourbillonner follement les feuilles, paniquant la petite chatte ; ce matin, la tâche de nettoyer tout cela s’avéra étonnamment aromatique, la bourrasque ayant arraché beaucoup de feuilles de menthe. Une branche de bambou a cassé, aussi, hélas.

Au fait, cela fait pile six mois que je suis arrivé ici. Six mois et toujours le même bonheur, cette sensation de plénitude. Merci Bordeaux.

#2484

Le « camp des Romains », ce nom m’aura durablement fait rêver. Autrefois, mes parents avaient une maison de campagne de l’autre côté de la Vienne par rapport à Chinon, dans un étroit vallon dominé par des forêts. Et si vous montiez la rude pente du côté droit, tout en haut, avant de tourner vers le bourg de Cinais, débutait là un chemin forestier au bout duquel s’ouvrait soudain un endroit magique, hors du temps : le camp des Romains.

Après le bois, le ciel se dégageait sur un paysage de rochers blancs et de sol sableux, dessinant le vaste cercle d’un plateau cerné par les arbres. De larges avenues entre pierre et herbe sillonnaient ces lieux, de chaque côté desquelles s’étendaient des plages rugueuses, des éboulis crayeux, de souples pelouses, des jungles basses d’ajoncs et de bruyères, quelques mares dans les encoignures rocheuses, le tout ponctué des silhouettes tordues d’arbustes et de buissons. L’on pouvait pénétrer en dehors des avenues, par d’étroits sentiers, à peine des pistes, tracés par les troupeaux de chèvres qui venaient se nourrir là. Chaque pas se devaient d’être calculé, pour ne pas s’enfoncer dans la tourbe humide, ne pas se tordre les chevilles sur la caillasse, ne pas se faire griffer par les ronces… On aurait dit que le marteau d’un géant avait concassé ce terrain, révélant les os brisés de la terre. Et des géants il y en a, en Touraine, c’est bien connu : d’ailleurs, n’est-ce pas ici que Gargantua fit enterrer les morts de la guerre picrocholine ? Ignorant ce macabre détail, étant môme, je ressentais pourtant bien le mystère de ce plateau singulier, où le rose-mauve des bruyères frémissait en mousse piquante, où après un chemin secret entre les troncs de jeunes frênes, en évitant la piqûre des houx, l’on pouvait parvenir jusqu’à un jardin creux où l’herbe formait un tapis si épais au-dessus d’un point d’eau que l’été, quand toute humidité avait disparu, c’était comme un doux matelas végétal. Et la vie aquatique, les dytiques, les têtards, les grenouilles et les tritons, tous l’univers sans pitié des larves, trouble, ténue. Les notonectes ramant sur l’eau et les libellules planant au-dessus. Le chèvrefeuille tissait des cabanes vertes et odorantes, de jeunes arbres poussaient téméraires leurs troncs souples, érables, châtaigniers, pins, bouleaux, les tiges sombres du nerprun balançaient leurs baies, digitales, orchidées et réséda apportaient des touches fleuries au sein des nervures blanches du calcaire…

J’y suis retourné, ce week-end. La végétation s’y presse en rangs toujours aussi divers mais le temps ayant passé et les chèvres ayant déserté les parages, désormais le camp des Romains est une impénétrable énigme — littéralement impénétrable, tout a poussé, en un épais chaos végétal, que seuls lapins et cochons doivent encore parcourir. Nous sommes restés sur l’avenue, cueillant un peu de bruyère pour refaire les bouquets maternels, c’est étrange, d’ordinaire lorsque l’on retrouve les lieux d’une enfance ceux-ci semblent avoir rétréci, alors qu’ici, tout a grandi, le paysage s’est élevé, et les cheminements dans lesquels je pouvais me faufiler étant ado sont désormais clos à mon âge adulte.

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#2483

Un petit voyage down memory lane : je me promettais depuis mon retour à Bordeaux d’aller un jour me promener sur le campus de Talence, dans le triangle que je fréquentais il y a 30 ans — fac de lettres, BU, Village 5 et IUT. Je le fis donc tout à l’heure, avec un sentiment moins de nostalgie que d’amusement léger. Le tram n’effectue pas tout à fait le même trajet, mais j’ai trouvé sans problème. Tout cela n’a guère changé, les bâtiments années 30 à l’entrée du campus sont dans un état de délabrement avancé, les bâtiments années 70 que je fréquentais ne sont pas tellement plus usés, on a posé çà et là quelques lames de métal ou de bois pour camoufler des façades, mon aile du Village 5, où j’ai résidé deux ans, est d’une touchante vétusté. La pelouse n’existe plus où j’avais osé dire « je t’aime » à un garçon prénommé Patrick. Le petit bois de pin à côté de la BU est toujours là, grand et sombre maintenant. Sur les immenses prairies, les petits peupliers sont devenus des lances végétales géantes et toute une diversité arboricole les accompagne : chêne vert, bouleau, sapin, pin. L’IUT se barricade maintenant derrière des grillages verts et là où se tenait le journalisme et les métiers du livre (habillés de neuf en centre-ville) s’annonce maintenant un mystérieux « mediadoc », mais sinon pas grand-chose de neuf.

Amusant comme ce plat paysage de prairies et de pins a influencé mon imaginaire, je rêve encore souvent de lieux semblables, alors qu’il me semble avoir passé mes trois années d’études essentiellement dans un état de grande insouciance et de superficialité — je ne connaissais quasiment mes camarades que par leur prénom, n’ai retrouvé un peu après ma copine Charlotte que par hasard. Au retour, du centre de Talence il ne reste absolument rien, en dehors de l’ancien château Margaux. Tout y est neuf et quelconque.