#2375

Une charmante lectrice, à moins qu’il ne s’agisse d’un robot astucieusement flatteur, me reproche de ne pas assez bloguer. Eh bien, mais c’est là la liberté du blogueur, que de n’alimenter sa page qu’au fil de son inspiration et de ses caprices. Comme toujours, les Moutons électriques occupent le principal de mon temps, et ce qu’il en reste est consacré au lent et minutieux retravail stylistique de mon premier roman, Cité d’en haut, qu’un éditeur nouveau et nordiste a le bon goût de souhaiter rééditer. Ce sera ensuite le tour du deuxième, renommé Vent du Sud (sa fort discrète sortie chez Rivière Blanche avait été titrée Les Vents de Spica par l’éditeur, don’t ask me why). Et puis, ensuite, ensuite, eh bien il sera temps que je mette à la rédaction des tomes 3 et 4 de cette tétralogie, mais oui. Mais chaque chose en son temps, et celui de l’écriture m’est compté, de temps.

Au même moment, je bosse avec Fabrice Colin et les responsables de chez Deux Coqs d’Or sur notre prochain album pour la jeunesse, qui fera explorer par les petites filles une île des chevaux magiques. Avec plein de pop-ups, flaps, dépliants, etc.

Le temps est d’une douceur enfin printanière, avec une menue bruine et un ciel gris perle, qu’anglophile comme je le suis je trouve, ma foi, fort agréables. Je suis d’ailleurs sorti ce midi, ayant besoin de refaire quelques provisions de thé. En ai profité pour acquérir les n°2 et 3 de la publication en grand format journal d’une nouvelle adaptation des Nestor Burma, cette fois par Barral qui s’en tire magistralement, son trait rond et souple est idéal pour cet exercice « à la Tardi », contrairement au trait raide son prédécesseur.

#2373

Régulièrement me prend l’envie d’entamer une série de lectures thématiques — mais rarement je ne m’y tiens, bifurquant presque à chaque fois, par exemple pour une lecture « obligée » pour des raisons professionnelles (ce qui peut bien entendu être extrêmement agréable, comme ces derniers jours le roman Le Clairvoyage d’Anne Fakhouri), ou bien déraillant sur une autre piste, une autre envie — comme ce week-end encore avec rien moins que trois polars de Léon Groc à la suite (cet auteur était vraiment fort et je prépare, avec mon amie Christine Luce, deux recueils de la veine policière du cher homme).

Mais bon, bref (je dis souvent « bref »), malgré tout je poursuis ma lecture des minces volumes du coffret Penguin Lines, consacrés à chacune des lignes du métro de Londres. Earthbound de Paul Morley est un absolu délice, un de ces essais aux méandres et apartés menés par une intelligence brillante. Ça parle de la ligne marron, la Bakerloo, et du passé de journaliste musical de l’auteur, et de la musique, donc, de John Peel, de Can, de Stokhausen… Allez, au suivant : Heads and Straights de Lucy Wadham. Qui curieusement serait censé concerner la Circle Line… mais ne parle absolument pas du métro, et seulement du quartier de Chelsea, qui se caractérise pourtant par sa quasi absence de stations du métro. Pour autant, je ne me suis nullement senti volé, car la manière à la fois grave et légère qu’à l’auteur de raconter sa jeunesse m’a semblé remarquable, elle a une voix, un humour, une tendresse… Wow ! Et beaucoup de modestie, aussi : en fait d’autobio, elle évoque surtout sa grand-mère, ses parents, ses nombreuses sœurs, quelques oncles, et fort peu sa propre petite personne. Jeunesses des Sixties, et toujours ces questions de classe sociale, qui comptent tellement en Angleterre. De très belles tranches de vie, que je suis heureux d’avoir découvert — et du coup, bifurcation : ça m’a donné envie de lire la première autobio de Christopher Fowler, Paperboy, sur sa jeunesse de lecteur obsessif.

Je l’avais achetée il y a un petit moment, le temps est venu de m’y plonger. Et c’est drôle, tellement drôle ! Pourtant, il n’est vraiment pas tendre avec ses parents, Chris Fowler, et avec ses grand-parents encore moins. Narquois, sarcastique, tout en conservant pourtant aussi la vision de l’enfant, innocent, tout le temps en perplexité devant le monde étrange des adultes. Sixties encore, l’étrangeté de ce passé anglais dont je connais mal les références (c’est tout l’exotisme de cette culture à la fois proche et différente : ce passé est littéralement un autre pays), corsé de notes toujours amusantes et débité à une cadence aussi étonnante que la précision des souvenirs ainsi exposés.

#2372

J’avais quelques sous encore à dépenser et j’attendais l’Eurostar qui me ramènerai sur le continent. J’étais donc allé faire un petit tour dans la librairie Foyles de la gare de St Pancras, librairie qui, pour un magasin de gare, est étonnamment bien tenue et diverse, une vraie librairie, pas un simple vendeur de best-sellers comme tant que gestionnaires imbéciles le voudraient. Non loin de l’entrée, une table de livres sur les jardins et la nature attira mon regard.

Ah, les jardins et la nature ! Deux grandes passions bien anglaises. Les citoyens de l’archipel britannique semblent entretenir avec leur environnement un lien plus étroit, en tout cas assez différent, de celui des citoyens français. Il y a belle lurette que je m’esbaudis des émissions de jardinage en prime time, que je me régale des documentaires anglais sur des jardins ou sur des promenades naturelles (j’ai suivi avec autant de passion qu’une série télé les documentaires A Year in Kew ou Coast, par exemple) et que je me réjouis de l’interaction de cette culture botanique avec certains aspects bien anglais de la fiction (les jardins et le polar, dans la série Rosemary & Thyme ; les jardins et la science-fiction, dans le délicieux téléfilm The Plant). Oh, ce n’est pas qu’il n’existe pas une tradition horticole française, bien sûr — et de vrais passionnés, tel mon papa à moi que j’ai, qui est passé à la télé pour ses iris et qui tient un blog depuis presque aussi longtemps que moi, Irisenligne — mais le rapport britannique au jardinage et à la nature me semble plus intime, en tout cas plus généralisé et plus reconnu, l’histoire d’amour d’une nation.

Ayant en tête la nécessaire rédaction du troisième Dico féerique (que je n’ai encore qu’à peine entamée, d’ailleurs, faut vraiment que je m’en occupe), le tome consacré à la féerie végétale, je regardais donc cet étalage avec une vague curiosité — et tombais amoureux d’une couverture, celle de Wildwood par Roger Deakin. Sous-titre : « A Journey Through Trees ». Mon camarade Julien se moque souvent de mon goût pour les images d’arbres sur des couvertures… mais c’était plus que cela : ces formes en simple aquarelle, la texture du papier, l’embossage du titre, tout me séduisit dans ce Penguin. Et tant qu’à faire, j’achetais aussi Weeds (« The Story of Outlaw Plants ») de Richard Mabey et Beechcombings (« The Narratives of Trees ») du même.

Bien plus tard, je me plongeais dans Wildwood de Roger Deakin… et tombais amoureux de cette prose formidable, si belle, si personnelle, et du mec qui avait écrit ces lignes, un vieil écolo hélas décédé en 2006, juste après avoir terminé d’écrire son livre. Et puis, tiens, mais je l’avais vu, ce Roger Deakin, dans une série documentaire (Countrytracks, compilant région par région des tas de documentaires sur la nature avec des reportages nouveaux). Roger Deakin y nageait dans un fossé tourbeux, en expliquant le plaisir qu’il y avait à nager dans la nature — étrange… Ah mais voici l’explication: Roger Deakin est devenu célèbre outre-Manche pour son premier livre, Warterlog, un tour de l’archipel britannique en nageant un peu partout dans la nature. Une démarche étonnante, qui a mis à la mode le « wild swimming », mode à laquelle effectivement j’avais vu quelques allusions dans les documentaires Coast… Et moi de lire Wildwood, avec une délectation, une jubilation, que je réserve d’ordinaire à certains poètes. Et de  ralentir ma lecture, tellement j’avais envie de ne pas quitter trop tôt ce livre, cet étonnant voyage entre autobio et essai, entre histoire naturelle et histoire de l’art : Deakin de chapitre en chapitre passe avec naturel de l’évocation d’un arbre dans son jardin à celle d’une artistes de sa connaissance, d’une promenade à du land art, son style est de toute beauté, et là-dessus flotte un brin de nostalgie, de tristesse, celle de savoir qu’un homme aussi remarquable a été emporté soudain par un cancer. Bien sûr, j’ai voulu lire Waterlog — je suis encore plongé dedans, si j’ose dire. Et après sa mort, des amis ont sélectionné dans ses copieux journaux les Notes from Walnut Tree Farm, que je dois encore lire.

Mais Roger Deakin n’est pas vraiment mort, c’est extraordinaire comme son souvenir est perpétué : dans un documentaire, une des anciennes animatrices de Coast, Alice Roberts, a décidé d’aller nager dans la nature comme son idole, rencontrant au passage la veuve et un copain de Deakin.  Le tout ponctué par la voix de Deakin lui-même, lisant à la radio des passages de Waterlog. Un hommage incroyablement touchant et poétique, sous la forme d’un documentaire au sujet a priori si peu commercial, si personnel — mais on est en Angleterre, le documentaire y est un art reconnu et les chaînes sont capables de diffuser de tels films à des heures de grandes audience. Et puis en cherchant une référence sur Amazon, voici que je trouve un beau livre à paraître bientôt, par un copain de Deakin, retraçant des promenades qu’ils ont faites (par Robert Macfarlane, auteur lui-même de plusieurs livres dans le même genre que ceux de Deakin, il faudra que je me les procure un jour). Je crois que je ne vais pas quitter de sitôt l’univers de Roger Deakin, sa voix, ses amis — et sa vision, celle qui consiste à se glisser dans la peau de la nature, à la pénétrer au plus près (ce rêve de Jacques Lacarrière, déjà, dans Le Pays sous l’écorce). Et que j’y reviendrais souvent. Au moment où je rédige ces lignes, je viens de dénicher par exemple ce texte lu par Deakin. Je suis un grand amateur de la nature — lorsqu’elle se niche dans les pages des livres !

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#2371

Triste nouvelle au réveil. Paolo Soleri est mort avant-hier. Je rentrais au lycée lorsque j’ai découvert les travaux de cet architecte utopiste — je me passionnais déjà pour l’archi, parce que je vivais dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, alors un vrai quoique maladroit laboratoire d’urbanisme… Paolo Soleri vient de nous quitter, et après Oscar Niemeyer c’est une de mes plus vieilles « idoles » qui disparaît donc. Mais il continuera toujours à alimenter mes rêveries, par les images de ses « arcologies », qui sont parmi les visions les plus puissantes que je connaisse. Son catalogue Arcologie, la ville à l’image de l’homme (ed. Parenthèses, 1980) demeure l’une de mes influences majeures.

Soleri aura au moins laissé son empreinte dans l’imaginaire, et forgé un nouveau vocable pour la science-fiction et nos avenirs rêvés, l’arcologie — souvenez-vous de l’Animal couronné de John Crowley ou de cette arcologie en banlieue parisienne, au pied de laquelle a lieu un meurtre, durant une enquête de Tem (j’en avais discuté avec Roland, je trouvais qu’une arcologie ferait un superbe huis-clos pour du polar mais Roland ne semblait pas convaincu, dommage).

Soleri rests in front of 3-D Jersey Xehaedron housing city model

#2370

Je l’ai lu il y a déjà de nombreux mois, sur manuscrit et avec un plaisir intense, je dois dire. Du coup, le temps ayant passé, j’ai bien failli oublier de l’évoquer ici. Et pourtant. Oserai-je parler d’œuvre majeure ? Cela demeure mon impression, en tout cas : un roman qui parvient à dédoubler la légende d’Henry Darger en la teintant de Oz, qui accumule les simples (?) documents tout en parvenant à créer un puissant effet de suspense, c’est une fiction virtuose, un merveilleux vertigineux, dupliquant à sa manière la froide jubilation d’un Steven Millhauser et la brûlure d’un Jonathan Carroll… Enfin bref, pas la peine de faire l’article plus longtemps : j’ai aimé American Gothic de Xavier Mauméjean.

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