#2040

Je reviens donc du salon d’Épinal, les Imaginales, excellent et hautement sympathique comme d’habitude. Et cette fois la pluie n’a même pas trop été au rendez-vous, c’est fou. Le seul truc qui m’embête lors de mes déplacements, c’est qu’étant accro au thé je suis rapidement en état de « manque ». Dur-dur de voyager en France, pays du règne imbécile de ce brouet radioactif que l’on nomme « lipton yellow » et que l’on tente de nous faire passer pour du thé (quelle imposture), et dictature non moins absolue de ce liquide noirâtre et nauséabond que l’on nomme café (quelle horreur). Pouah.

Mais sinon, Épinal c’était bien. Outre les amis français, suisses et belges, j’ai également revu, avec grand plaisir, mes talentueuses amies américaines Delia Sherman et Ellen Kushner. Et fait quelques nouvelles rencontres. Si le libraire n’était pas si pusillanime qu’il n’avait pris que 6 Sherlock Holmes, une vie et 2 Géographie de Sherlock Holmes, ce qui fait qu’on en a vite manqué, ç’aurait été encore mieux. Et distribuer des bouteilles d’eau aux auteurs en signature, comme dans la plupart des festivals, ça ne serait pas un luxe non plus – il faisait chaud sous la toile.

Je suis parti très fatigué, le dos à la limite du lumbago, et je reviens donc pas mieux. J’ai même été réveillé tôt ce matin par une livraison (YS n°135), bouhou. Le long voyage du retour m’aura permis d’encore bien avancer dans ma lecture de l’énorme bio d’Albert Camus — texte fascinant, mais style hélas très saccadé, pour ne pas dire médiocre, avec quantité de faiblesses structurelles et narratives. Olivier Todd est bien un journaliste et pas un écrivain. Noté une jolie petite citation de Camus: « Tout cela me renforce dans mon idée qu’il n’y a pas de Providence, mais qu’il n’y a que des amis« . Et une autre, de Jacques Copeau, qui me semble assez proche d’une définition des Moutons électriques: « […] fondés non pour prospérer, mais pour durer sans s’asservir« .

#2039

Notes d’un piéton de province monté à la capitale (5)

Conclusion ô combien satisfaisante d’un séjour où je vis tant de personnes que j’aime, qui me sont chères, par un dimanche de farniente d’une ineffable douceur. Un peu de marche le matin, pour visiter les puces de St-Ouen, le moment people inévitable à Paris en croisant Philippe Starck aux dites puces de St-Ouen, puis de la gastronomie et du bon vin… En compagnie de mes compères Jean et Axel (qui faisaient plus ample connaissance avec un plaisir évident et réciproque), ce fut donc un restau éthiopien le midi et re-cantine japonaise le soir (entre les ragoûts éthiopiens et les ramen nippons, force est de constater que j’ai découvert ces dernières années deux nourritures particulièrement « addictives » — la dernière mode parisienne, elle, est aux restaus tibétains: il y en a plein les rues), tandis que le reste de la journée se passait entre ombre et soleil sous les amples feuilles des marronniers du Luxembourg, à siroter verre après verre d’un Chablis bien goûteux. Douce décadence. J’ai souhaité un séjour roboratif et dépaysant, je ne saurais nier que ce fut une réussite. Qui a dit que Paris était stressant, bruyant, fatigant? Je l’ai vécu cette fois dans une exceptionnelle détente.

Dans ma solitude lyonnaise je ressens souvent que j’ai le superflu en abondance mais que je manque de l’essentiel. Temps lent du flâneur et chaleur des autres: c’est cela cet essentiel, retrouvé pour tout juste une semaine parisienne.

#2038

Notes d’un piéton de province monté à la capitale (4)

Revu mon vieux camarade Bernard Joubert, dont j’avais fait la connaissance lors de mes études bordelaises et que je n’avais plus croisé depuis 1991. S’il y a un avantage à l’âge, c’est celui-là: avoir des copains de longue date, que l’on peut revoir par hasard et avec lesquels on poursuit une conversation comme si jamais on ne s’était quitté. Une familiarité tranquille, naturelle.

Une autre plongée dans l’art plutôt qu’une simple exposition: la soucoupe de Zaha Hadid s’est posée devant l’Institut du monde arabe. S’il y a bien quelques maquettes de bâtiments conçus par la grande architecte anglo-irakienne, le principal est ailleurs: primo dans l’intérieur de l’espace d’exposition, un pavillon tout en courbes blanches et noires, dont les « cloisons » sont ds tissages d’épaisses branches en plastique noir, qui se tordent dans une sorte de réinvention seventies des volutes de l’Art nouveau. Elles supportent de temps en temps des voiles translucides, écrans sur lesquels sont projetés des films. Pas n’importe quels films: des explorations virtuelles de projets ou de réalisations architecturales du cabinet Zaha Hadid Architects, généralement en modélisations 3D. Ces immeubles aux convolutions végétales surgissent sur grand écran, la caméra tourne autour, c’est vertigineux. Cependant… en fait d’expo, il s’agit plutôt d’un showroom — une campagne publicitaire pour Zaha Hadid Architects, dont l’imaginaire semble désormais se concentrer sur des floraisons de groupes de tours. Mais si séduisantes, ces tours.

#2037

Notes d’un piéton de province monté à la capitale (3)

Longtemps que le rituel n’avait pas été observé : grands bols de ramen à la cantine japonaise Higuma et grandes pintes de bière ou de cidre au pub Kitti O’Shea. Au trio Daylon-André-Jean (ce dernier en forme redoutable) s’ajouta le jeune revuiste Axel. Ma famille, en quelque sorte. Le lendemain soir, une autre famille, celle des Camus, dans la douceur d’une proche banlieue où, paraît-il, loge aussi Moebius, non loin. Il faudra vérifier, en vue d’un collectif que je lance sur le maître.

Lorsqu’avec Olivier nous nous étions lancés, téméraires et curieux, dans la découverte de l’art moderne, nous nous étions amusé de la mode des grandes expositions. Avions alors lancé le pari qu’ayant épuisé les « grands noms », un de ces jours nos musées se verraient bien obligés de redécouvrir deux peintres qui nous semblaient alors injustement négligés, Vlaminck et Van Dongen. C’est maintenant chose faite, et avec un plaisir amusé ai-je donc été visiter au musée de la Ville de Paris l’expo Van Dongen qui s’y tient en ce moment. En vérité je vous le dis : rien ne me plaît plus que les fauves et les mouvances s’en rapprochant. Ah, et à quand une grande expo Raoul Duffy, s’il vous plaît ?

#2036

Notes d’un piéton de province monté à la capitale (2)

« Enquêtes biologiques », proclame un panneau en grandes lettres. Qu’est-ce donc ? L’image me vient, un peu inquiétante, d’un mélange de polar et de science-fiction hi-tech.

Dîner en (proche) banlieue, vilaines barres jaunes sur une hauteur d’Ivry, l’intérieur est coquet, et depuis les fenêtres la nuit se quadrille d’un dense tissu d’étincelles, de lueurs, de carrés lumineux en cohortes serrées, d’éraflures fluo en tout sens. Comme souvent, je voudrais prendre une photo. Je me contente d’une impression visuelle, d’un souvenir.

Dans le poumon d’un extraterrestre. Ou en tout cas, au sein des lobes d’un organe de cet être démesuré, dont les dimensions nous dépassent complètement. La pression intérieure, les lignes de fuite, les distances que l’on ne saurait juger, tout concoure à un vertige tout d’abord un peu oppressant puis rapidement enivrant, on titube légèrement, on s’assoit, les sens déroutés. « Monumenta 2011 » d’Anish Kapoor. Je pensais qu’il s’agirait de l’exposition de certaines de ses pièces immenses, je pensais peut-être revoir la trompette géante ou les boules lisses que j’avais vu dans le temps à la Tate Modern. Non point, petit homme : welcome to another experience. Oui, expérience est le mot : pas un expo mais quelque chose qui se vit. De l’intérieur d’abord, en pénétrant dans l’espace sous pression de cet objet qui nous rend lilliputiens, puis de l’extérieur, en faisant le tour, un peu sonné, de ses rondeurs lisses massivement installées sous les verrières du Grand Palais.

Même journée, après une longue-lente marche depuis les Invalides jusqu’au 13ème arrondissement, expo Gallimard à la BNF. Trop coûteuse pour juste deux pièces de petits papiers et de petites photos ; trop hâtivement préparée, sans doute, si l’on en juge par les fautes de frappe et d’orthographe (dont la première dès le premier paragraphe du texte d’ouverture sur le premier mur) ; touchante et fascinante pourtant, comme témoignages de la grande histoire de cette superlative maison (ils mettent un M majuscule à ce mot). Des lettres d’auteurs, en quantité, des fiches de lecture, des cartes postales, et tous ces noms, incroyable comme Gallimard a su réunir quasiment tout ceux qui comptaient, comptent encore, en littérature française. Le lendemain, ayant RDV à la NRF avec mon camarade Pascal pour déjeuner, j’ai l’occasion de serrer la main d’un petit monsieur au visage rond et doux, à la tignasse grise, que l’on me présente simplement comme Antoine. J’espère avoir fait bonne figure, bien qu’un peu ébahi. Au-delà du perron mythique, la rue Sébastien-Bottin va en juin devenir rue Gaston-Gallimard. Cela ne me semble que justice.