#2025

Un changement de cadence dans mes lectures: je suis brièvement passé des comic books aux mangas… et pas n’importe lesquels, pas du shonen pour ados, mais quelques beaux Taniguchi et le premier volume d’Une vie dans les marges de Yoshihiro Tatsumi. Ce dernier est publié par une maison que j’aime et admire beaucoup, Cornélius. Et ils se sont surpassés, en livrant un véritable hardcover de toute beauté, avec double marque-page en tissu (j’aime bien le petit mot de l’éditeur sur ce « zinzin » coûteux), belle toile de couverture, embossages, la totale. Quant au contenu de ce pavé c’est, dans un graphisme de manga ancien, très simple, l’autobiographie d’un mangaka qui révolutionna son domaine dans les années 1950-60 en inventant le manga adulte.

Il y a dans cette vie quotidienne japonaise d’autrefois un côté véritablement étranger, bien plus qu’un simple exotisme mais l’expérience de la différence, d’une culture extraordinairement complexe et si dissemblable de la nôtre. Je n’ai pas évoqué ici les drames qui frappent le Japon, ça me tort l’estomac, mais — ce n’est guère original — la culture nippone a exercé sur moi une admiration grandissante au fil des années. C’est aussi pour cette raison que je me suis replongé dans quelques Jirô Taniguchi, auteur que les journalistes français aiment à saluer comme le plus européen des mangaka – mais passé un superficiel cousinage avec certaines approches stylistiques de Moebius, c’est tout le temps cette culture fondamentalement différente que révèle Taniguchi. Je viens de lire Les Années douces et Le Gourmet solitaire, autant d’expériences tout aussi troublantes que de lire, par exemple, un roman ou une nouvelle d’Haruki Murakami. Rythme lent et goût de la contemplation, errances dans les rues, gourmandise pour un art culinaire d’une variété stupéfiante, destins d’individus fondamentalement solitaires — quelle force, quelle grâce, quelle beauté, chaque fois je me retrouve subjugué.

#2024

C’est officiel, les Moutons électriques vont publier un deuxième recueil de Timothée Rey. Dans la forêt des astres. Largement d’ambiance science-fiction cette fois. Nous attendions pour cela une subvention, qui nous a été confirmée par la Région la semaine dernière. Parution à la rentrée, j’entame de ce pas les travaux sur la mise en page. La couverture a été dessinée par l’auteur lui-même, sur une idée qui me trottait en tête — magique Timo qui, écoutant avec patience son éditeur délirer sur l’image qui lui était venue, la lui livra clefs en main. Et pour ne rien gâcher, le même Timo vient aussi de nous livrer une nouvelle inédite pour l’anthologie Détectives de l’étrange, qui prend tranquillement forme. Juste une phrase en avant-goût: « Harry Dickson et André Breton s’aventurèrent, circonspects, dans le vestibule par lequel on pénétrait dans la suite. »

#2023

Bien entendu, ce n’est pas pour rien que je publie (en juin) Psychogéographie! de Merlin Coverley. La « poétique de l’exploration urbaine », comme dit le sous-titre, est quelque chose qui me fascine de longue date. Je constate de plus qu’il s’agit d’une pratique qui, après avoir influencé urbanistes et aménageurs, rentre de plus en plus dans l’usage urbain courant. On peut dire que l’exploration urbaine se bobo-ise, en quelque sorte. Et je ne suis pas certain que ce soit une mauvaise chose. Par exemple, j’étais tout content de lire dans le dernier numéro du Tigre deux beaux articles psychogéographiques, l’un sur les grossistes chinois d’Aubervilliers, l’autre sur la Bièvre. Il faut dire que Raphaël Meltz (le boss du Tigre) a lui-même écrit un ouvrage dans le domaine, son Lisbonne ville imaginaire illustré par Nicolas de Crécy, qui m’avait d’origine donné envie d’aller découvrir la capitale portugaise.

J’évoquais l’autre jour une des premières motivations de ce blogue. Mon goût pour l’exploration urbaine en fut une autre, car j’avais envie de raconter mes « dérives ». C’est sans doute l’exercice d’écriture que je préfère. Il y a quelques années, Fabrice Colin m’avait fait rougir de plaisir en m’en complimentant et me disant qu’il fallait que je publie ces chroniques en volume. Mais chez qui? Je crois qu’il faut être déjà connu pour se permettre de publier de telles choses. Enfin bref, ce que je voulais dire ce matin, et j’y arrive après bientôt deux paragraphes, c’est qu’il y a des travaux près de chez moi.

On a rasé un T assez profond entre les bâtiments, là où s’étendaient en désordre un parking, une grange, de longues bâtisses abandonnées, une petite maison avec une tonnelle au-dessus de la porte et un escalier rouillé montant à l’étage, une allée herbeuse et un garage-carrossier. Je ne suis d’ailleurs pas mécontent d’être débarrassé de ce dernier, que mon ancien coloc Olivier nommait « l’usine à bruit » (et à odeurs, d’atroces relents de peinture qu’il nous soufflait sur la façade, l’animal). Les bruits, j’y ai gravement droit depuis, et à une immense grue non loin de mes fenêtres (qu’une mienne jeune connaissance escalada une nuit, mais c’est une autre histoire). Pour autant, je dois dire que j’apprécie assez… Car je n’avais jamais observé de près les processus de construction. Et je trouve cela fascinant. J’ai passé un bon moment encore tout à l’heure, assis dans la cuisine à regarder deux gaillards poser les tuiles sur un des nouveaux toits. Car ayant rasé le désordre précédent, ces travaux en inventent un autre, fait de l’amoncellement d’une surface commerciale (une de ces nouvelles supérettes de ville qui poussent un peu partout actuellement), d’un garage et de diverses « maisons de ville », soit des sortes d’appartements d’allure plus ou moins indépendante comme des pavillons perchés sur le reste. Et à Lyon, la tuile domine. Sans doute est-ce un des éléments qui font que je ne me sentirai jamais totalement « chez moi » ici, alors que j’y vis depuis si longtemps. Chez moi devrait plutôt être d’ardoises couvert, sans doute, comme à Angers ou à Tours. Tandis que Lyon rutile (au sens exact de ce verbe). Il y a bien, sur la place au fond, cette belle demeure au toit d’ardoise, mais elle est singulière au sein d’une houle de tuiles rouges. D’ailleurs, depuis les travaux une échancrure me révèle cette façade rose couronnée de noir, mais la nouvelle pente face à mes fenêtres, dont la charpente toute neuve brille blonde au soleil pour l’instant, ne va pas tarder à la camoufler.

#2021

À l’origine, me souviens-je, j’avais plus ou moins créé ce blogue afin d’y prendre note de mes lectures. Les éléments de ce blogue ont vite évolué, mais lectures il y a, toujours, assurément, et en tenir un peu le carnet de route m’aide souvent à fixer des choses. En ce moment, par exemple, je ne lis pas de romans. Plusieurs me font pourtant de l’oeil, genre le pavé neuf de RC Wagner reçu hier matin, ou le nouveau David Lodge (sur HG Wells!), par exemple, sans parler de l’avant-dernier Mauméjean ou du troisième Kate Griffin (ouch, la couv de la VF ne donne vraiment pas envie de lire ça, et pourtant c’est excellent)… Anyway. Je sors d’une petite période de quasi burn out, je me suis réorganisé, des trucs se sont débloqués, et je respire à nouveau. Mais j’éprouve encore le besoin d’aérer aussi mes lectures, so to speak, et donc de m’enfricher ailleurs que dans le roman. Genre, lu pas mal de revues. Je prévois d’ailleurs de changer dans le prochain Fiction ma rubrique graphique en une chronique sur des livres-revues dont je me sens proche. Donc, lu Bananas, Le Tigre, Rue 89, Geek Mag, MCD, et là je viens de mettre le nez dans le renaissant L’Indispensable (qui sortira mi-septembre, en fait)… Sinon, toujours la boulimie de comic books: j’ai poursuivi les Nexus, achevé de relire tous les Fables, découvert avec un plaisir immense les Omega écrits par Jonathan Lethem, relu un peu de Concrete ainsi que les Rocketeer, et là je suis dans les Baker Street de Guy Davis & Gary Reed, soit donc la reliure Honour Among Punks — conseillée par mon gentil camarade Calvo.

Très curieuse, cette première bédé de Guy Davis: dans un Londres uchronique, Sherlock Holmes est… une lesbienne punk! Bon, je n’ai clairement aucune sympathie pour le mouvement punk, je crois bien que de toutes les modes s’étant succédées depuis les sixties c’est celle qui m’inspire un très net rejet — leur culte du laid, de la violence, cette pseudo rébellion à deux balles qui a si bien servi le consumérisme… Enfin bref. N’empêche que cette bédé est bien déjantée et amusante, et que le dessin de Davis y trouve rapidement ses marques.

Well, sinon je tente le pari de revoir tout Babylon 5 — décors en bois et acteurs jouant de même, c’est vraiment une série étrange, en fait c’est ni plus ni moins que du théâtre filmé. Mais du théâtre de space opera, ce qui ne manque pas de sel! Captivant, machiavélique, Babylon 5 en dépit de ses multiples défauts demeure vraiment un objet télévisuel très singulier. Et puis le professeur Mauméjean m’a conseillé le visionnage des Department S, très vieille série ITC — et il avait raison: c’est absolument délicieux, tout est excellent, mortellement kitsch, j’étais passé à côté de cela.