#2536

Ces temps-ci les débuts d’un projet m’amènent à pas mal ruminer, en particulier quant à Lyon, la ville où j’ai si longtemps vécu. Une ville que j’ai quitté notamment parce que j’avais de plus en plus l’impression qu’il n’y aurait bientôt là plus que « standing room only », toute cette presse de gens, cette surpopulation ; j’ai encore fait deux petites crises d’agoraphobie, ces temps-ci, preuve que je ne suis pas encore tout à fait débarrassé de cette fâcheuse séquelle de mes années de libraire en centre commercial. Bien sûr j’ai eu plein d’années de bonheur, d’appréciation en tout cas, dans cette ville. Mais c’était déjà du passé, Lyon changeait trop. Et puis depuis le vaste et confortable silence qui est mien ici, dans un quartier de Bordeaux pas tout à fait périphérique, je réalise combien mon existence de la rue Paul-Bert tint fréquemment du « fait divers ». Un immeuble sur une cour, tout ce monde serré-serré dans si peu d’espace, finalement. Tous ces épisodes étranges dont je fus le témoin et tous ces moments de vies — dans le désordre, c’est bien le cas de le dire : l’appart de Cyril transformé en galerie d’expo le temps d’un soir ; les pleurs du jeune boulanger, la nuit, battu par son crétin de père ; l’amitié des voisins dessinateurs, David et Ben ; l’adorable pianiste d’en dessous ; le même descendant la façade en varappe pour aller ouvrir notre porte, une blonde nous ayant enfermé dehors ; le pauvre gars obsédé par son ex qui s’introduisit une nuit chez elle ; mon ex coloc Léo dans l’immeuble d’à côté ; le cri de la voisine d’en dessous découvrant mort son fils junkie ; l’année kibboutz avec Olivier, David, Axel et les autres ; Axel du haut de sa grue ; un petit matin glacial revenir avec Sam et l’ordi réparé ; Christopher pour la dernière fois juste une nuit ; les trafics de la famille du « concierge » tous les soirs d’un été ; mon si beau et si blond Werner dont j’ai rêvé trois fois ces derniers temps ; le pot-au-feu de Karly pour me soigner d’un grand chagrin ; Julien C. débarquant dare-dare parce que sans m’y attendre j’ai pleuré au téléphone ; Alex M. ayant loué l’appart d’en dessous pour venir bosser quelques jours ; ce grand échalas de Mathieu qui débarquait à l’improviste ; la dernière soirée avec Olivier en campement au milieu des montagnes de cartons… Tant et tant d’épisodes, tellement d’histoires, tout ce tumulte en mémoire, l’impression avec le recul d’un enchassement avec tant d’autres vies, bien des bonheurs mais trop de douleurs tout de même, pour finir avec deux années en étouffement progressif et l’envie de partir. Mon déménagement ne fut pas une épreuve ni un déchirement : un apaisement, une jubilation, le début de quelque chose de beau. Non que mon existence lyonnaise ne fut pas bonne, je ne m’en fais pas un sombre tableau, j’y ai eu de grandes et de petites joies, la vie quoi, et certains de ses acteurs me manquent aujourd’hui, mais je respire tellement mieux dans une maison, et je me fiche bien de ne pas connaître mes voisins — à part la vieille dame d’à côté, qui marche de moins en moins bien et dont les larmes dimanche dernier, dans son jardin avec sa fidèle amie de tous les week-ends, me serrèrent le cœur et me firent fuir ma chaise-longue. Pour être moins serré-serré de gens alentours je suis à Bordeaux beaucoup moins dans la solitude qu’à Lyon, en vérité. Le calme en plus.

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