Ce matin, comme je partais faire des courses en ville avant de passer à la librairie du Basilic, j’ai échangé quelques mots avec l’homme que je surnomme Laurel. Son Hardy est mort depuis déjà un moment, et du vivant de ce dernier il ne disait presque rien, laissant l’autre baragouiner jovialement dans un sabir d’espagnol et de français. Laurel est un tout petit homme au nez pointu et aux beaux yeux marron sous sa casquette grise. Me voyant arriver à l’arrêt de bus c’est ainsi qu’il m’interpella, s’amusant d’une voix douce de notre supposée ressemblance : casquette et canne. Nous échangeâmes comme il se doit sur le temps, frais mais clair, de ce bleu et doré qui dit l’hiver. Puis de m’expliquer, de son souffle modeste, « Je sais pas quoi faire d’ma peau alors je vais aller boire un café aux Capucins ». Ne pas savoir quoi faire de sa peau : le petit homme sillonne sans relâche ces quartiers sud de Bordeaux, le pas lent, la canne tranquille, sans autre but que d’occuper le vide de cette existence. Les ginkgos se couvrent d’or et les érables d’écarlate, Laurel marche toujours, sans Hardy, simple figurant des rues.
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