#2615

Il faut que je vous révèles un petit secret, concernant Arsène Lupin, une vie, qui vient juste d’être réédité en poche Hélios : j’y ai glissé un tout petit peu de ma famille, car figurez-vous qu’en finissant de travailler sur cette version de ma biographie du gentleman-cambrioleur, j’ai découvert qu’il y avait un lien direct entre lui et les miens.

Situons la scène : je suis assis dans un fauteuil, sur la pelouse devant chez mes parents, un ordi portable sur les genoux. Je suis en train de papoter avec mon paternel, car je lui ai fait part de ma légère frustration concernant le sujet des salons littéraires parisiens : j’ai lu plusieurs études sur le sujet, mais toutes se penchent sur des salons bien antérieurs à l’époque de Lupin, au tournant du siècle ou au début du siècle suivant, en tout cas jamais dans la période des Années Folles où mon gentleman-cambrioleur se met plus particulièrement à fréquenter les salons huppés de la capitale, certainement afin de glaner des renseignements utiles à ses illicites activités — en plus de son goût pour les frivolités mondaines. Bref, pour ce chapitre j’ai du un peu extrapoler depuis des témoignages antérieurs ; et mon paternel de m’apprendre qu’une de mes arrière-tantes, Lucie dite Maman Cie (Lucie Dalloux, épouse Boutilier du Retail, 1886-1968), tenait au milieu des années 1920 un salon. Intéressé, je lui en fais dire un peu plus, et notamment lui demande de me donner des noms de « gens célèbres » qui auraient été alors des familiers du couple Boutilier du Retail — je sais déjà qu’un de leurs plus proches amis était l’acteur Henri Crémieux, qu’ils cachèrent ensuite durant la guerre, mais qui d’autre ? Et mon père de me citer quelques écrivains déjà oubliés : Maurice Constantin-Weyer, Gérard-Gailly, Maurice Bedel, Claude Aveline (tiens, un polardeux), Francis de Croisset… Je reste un instant interdit, cherchant dans ma mémoire pourquoi ce dernier nom me dit quelque chose… Puis je réalise : attend, attend, tu as bien dit Francis de Croisset, le dramaturge Francis de Croisset ? Oui, fait mon père, l’auteur de pièces de boulevard.

Quelle révélation : Francis de Croisset, le troisième et dernier des grands noms du Boulevard, n’est autre que le co-auteur de la pièce Arsène Lupin avec Maurice Leblanc ! Ainsi donc existe-il un lien réellement direct entre l’univers de Lupin et ma propre famille ; et comment ne pas supposer, de ce fait, qu’Arsène, peut-être sous son identité de Raoul d’Averny, fréquenta un peu le salon du 2 de la rue Vineuse dans le seizième ?

Tout cela, vous le trouverez page 194 de la nouvelle édition (page 228 du grand format).

Et tant que j’y suis à des confidences familiales, si vous ouvrez l’ancienne édition de notre Poirot, Les Nombreuses vies d’Hercule Poirot, à la page 21, la photo d’infirmières en 1914… celle du milieu n’est autre que Lucie Dalloux !

Un dernier détail, cocasse : lorsque j’ai reçu pour la même collection le manuscrit des Nombreuses vies de James Bond, par Laurent Queyssi, voici ce que j’y découvris : « Si l’on en croit le récit que fait l’agent 007 à John Pearson, c’est en 1930 que la famille s’installe en France dans une grande maison, près de Chinon, en Touraine. » Le jeune James Bond habita donc dans la région de Chinon, la ville originaire de ma famille ?! Amusé par la coïncidence, je glissai donc en illustration une gravure sur bois d’un ami de mon grand-père, le peintre James C. Richard (page 11).

#2592

Je suis dans les dernières pages de ma relecture des « Toto Fouinard » de Jules Lermina, une série policière que m’a préparée mon excellent camarade JDB et qui aura droit à une ovine publication à tirage limité l’an prochain. C’est vraiment délicieux, passionnant et d’une parfaite qualité, un petit chef-d’œuvre du roman policier français très injustement oublié — mais le polar français ne se soucie que de « noir » et tant qu’il ne sera que cette triste littérature pour et par vieux mecs blancs à cheveux gris, qui repeignent juste le beigeasse en des teintes plus sombres… Moi ce que j’aime c’est le roman gris à la Simenon et le roman policier, qui était vert selon Penguin et serait jaune selon les Italiens… Enfin bref, « Toto Fouinard » c’est vraiment le pied, quoi. Un grand bonheur de lecture. Je regrette d’avoir fini (enfin, faut maintenant trouver les deux épisodes qui manquent encore). Et me suis bien amusé en sus du vocabulaire de l’auteur, d’un autre temps — je suis tombé à l’instant sur un « j’ai l’œil américain », expression disparue de nos jours mais que l’on trouvait encore même chez Claude Aveline dans les années 1950.

Justice expéditive

Il est un aspect du roman policier anglo-saxon classique qui me fait souvent tiquer, c’est sa dimension de « justice expéditive », à savoir la propension de nombre de grands détectives de prendre en main directement l’application d’une sentence. À une époque où la peine de mort est encore généralisée, nos détectives, de Poirot à Wolfe en passant par le Saint, n’hésitent pas certaines fois à provoquer le décès d’un coupable. Idéologiquement, cette pratique ne lasse pas de me bousculer, la dimension orale du polar prenant alors un tour pour le moins fâcheux et discutable. Plus généralement d’ailleurs, à relire une fois de plus des enquêtes de Nero Wolfe, je m’étonne de la froideur, de la dureté des rapports humains dans cette œuvre, Rex Stout met en scène une société américaine brutale et cynique, animée par l’utilitarisme et le dollar — une rudesse dont témoignent également Erle Stanley Gardner ou Elley Queen, par exemple. (Petit extrait de mes Nombreuses vies de Nero Wolfe)

On a vu que, le cas échéant, le sens de la justice de Wolfe le fait parfois pousser au suicide un coupable. Ce procédé ne manque pas de faire sourciller, pour le moins, lorsque l’on possède notre sensibilité actuelle. Mais durant les années trente, et plus particulièrement dans le Nouveau Monde, la violence régnait de manière ouverte et, aux exactions des gangsters, répondait souvent  des moyens de justice assez expéditifs, lorsqu’ils ne se trouvaient pas carrément en dehors du cadre légal. En regard des méthodes d’un Shadow, par exemple, ou d’un Doc Savage qui n’hésite pas au début de sa carrière à trépaner un criminel pour éradiquer dans son cerveau tout comportement mauvais, pousser un coupable au suicide apparaît comparativement raffiné. Fin 1934 ou début 1935, un justicier venu de la vieille Europe débarquera à New York pour illustrer cette conception radicale et illégale de ce que devrait être, selon certains, la justice : Simon Templar alias le Saint abat le chef maffieux Jack Irboill sur les marches du palais de justice, dont le gangster ressortait une fois de plus acquitté. « Simon Templar connaissait New York. Il y avait séjourné à l’époque où l’on pouvait ouvertement boire du champagne ou du whisky ; à l’époque où les buildings n’avaient pas entamé la lutte effrénée menée pour dépasser la hauteur de la tour Eiffel ; à l’époque où s’ouvraient à chaque coin de rue les portes battantsaint007es d’un bar. » Âgé de 31 ans à l’époque, le Saint est un grand jeune homme brun, au teint hâlé et au sourire narquois. Ses complices des débuts étant morts ou « rangés », Templar poursuit seul sa mission de justicier vengeur, avec une arrogance et une veine insolentes. Un courrier de son adversaire favori, l’inspecteur Teal de Scotland Yard, résume la carrière du Saint jusqu’à son passage new-yorkais, dans les premières pages du roman que tirera de cette retentissante affaire le romancier Leslie Charteris. Le Saint à New York demeure considéré comme l’un des meilleurs titres de la saga, qui se poursuivra avec un grand succès commercial bien au-delà de la durée et de l’étendue réelle de la carrière du Britannique à l’auréole. (…)

On note souvent que Wolfe, peu désireux de témoigner devant un tribunal, s’arrange dans nombre d’affaires pour que le coupable se donne la mort. Poussant encore plus loin cette conception assez expéditive de la justice, Wolfe organise cette fois, dans ses propres serres, les circonstances de la mort du criminel. Et lorsque, cinq jours plus tard, Cramer l’admoneste vaguement pour avoir délibérément tué cet homme, Wolfe ne manifeste nul remords et expose pourquoi aucun jury ne pourrait le condamner. Il fait montre du même sens impitoyable de la punition qu’un Hercule Poirot ou un Simon Templar à la même époque, chacun à sa manière. En ces temps rudes, les principes sont non moins implacables. (…)american magazine 1937005