Étant jeune, j’avais adoré une bédé au scénario signé Delporte & Franquin, sur dessins de Jannin : « Arnest Ringard et la taupe Augraphie ». La séquence d’ouverture de la série, en particulier, possédait la limpidité d’une évidence : cette vague curiosité que l’on peut ressentir en voyant de l’autre côté de la vitre d’un train défiler de petites maisons avec leurs étroits jardins, adossées en rang contre le talus ferroviaire. Quelles vies dans ces logis, quelles existences dans ces jardins ? Et l’on se surprend à cette apophénie du quotidien qui consiste à esquisser des scénarios, à établir des motifs et des hypothèses… et puis le train file, et l’on ne saura jamais. J’imagine qu’il s’agit en partie aussi la séduction de ce récent best-seller anglais, Girl on the Train. Cet après-midi, assis sur mon carré d’herbe, j’ai levé le nez d’un bouquin pour contempler d’abord une vaste mousse blanche qui montait derrière les toits de tuile, nuées à l’assaut du bleu du ciel ; puis, baissant un peu le regard, considéré l’ordinaire spectacle devant moi, le bout de jardin, les plantes frémissant et dodelinant, la porte-fenêtre ouverte sur l’intérieur ombreux, et m’a frappé le fait que ça y était, ma vie s’inscrivait parmi celles que l’on regarde passer depuis le train. Certes l’emprise ferroviaire ne passe pas derrière chez moi mais en tête de l’impasse, dans l’atténuation visuelle d’une profonde tranchée ; avec pour seul passage dominant cette rangée d’échoppes, celui de quelques félins au sommet d’un mur aussi haut qu’épais. L’idée demeure : un maigre jardinet, l’opacité d’une maisonnette, un homme d’âge mûr, trois chattes d’âges variés et quelques milliers de livres. Mais ni taupe ni trésor, à ma connaissance.
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#2376
Je ne l’aperçois que rarement et, chaque fois, son envergure m’impressionne. Un rapace a fait sien mon quartier et, de temps en temps, je le vois passant bas au-dessus des jardins. Gare au merle. Bien plus que mes chattes, ce faucon pèlerin lui constitue sans doute un ennemi redoutable et j’entendais d’ailleurs tantôt des tac-tac-tac d’alerte. Étonnant faucon qui, à l’instar du renard, s’inscrit au nombre de cette sauvagine si bien acclimatée au milieu urbain. Tout de même, que ces rapaces des falaises aient adopté les tours de La Défense ou les gratte-ciel de la City, je le conçois, mais à Bordeaux cette ville basse, et qui plus est dans un quartier du sud, où il n’y a guère que le paysage peu élevé des échoppes et de l’échancrure ferroviaire ? Notre faucon pèlerin vit pourtant bien ici depuis quelques années et il n’y a pas à le confondre avec un autre volatile, fut-ce le milan noir dont j’ai lu qu’il existe également chez nous : ces immenses ailes beiges, ça ne trompe pas. La barrière de Bègles, cette jungle.
#2374
Une bonne moitié des fleurs de mon jardin vibrent dans des nuances de cyan et, en fin de journée, dans l’heure bleue qui voile le jour juste avant la nuit, toutes ces fréquences d’ultraviolet se sont mises à trembler, comme plus intenses, comme une respiration végétale.
#2373
Turdus merula. C’est le vilain nom du seul hôte à plumes des environs de mon jardin, en ce moment, exceptée une tourterelle. À eux deux, le merle noir et le pigeon gris et blanc, ils suffisent à emplir tout l’espace sonore. On discerne bien quelques gazouillis alentours, mais éloignés, la seule proche activité demeurant les passages du merle, perché sur la branche morte de l’arbre qui surplombe le haut mur du jardin, ou bien tout en haut de la maison voisine, sur l’antenne télé. Et ça trille, et ça trille. De temps en temps, la tourterelle dont les roucoulements forment la basse de cette musique, vient le chasser dans un froissement d’ailes et un claquement de rémiges.
#2372
Tumulte matutinal — parfois l’océan se rappelle à notre souvenir. Réveillé par les doigts gris des embruns frappant au vasistas, je suis descendu au salon dans un demi-jour ténu et humide, tandis que gonflait au dehors une rumeur maritime, une levée puissante qui bientôt secoua le jardin, éclaircissant le ciel mais grondant comme pour que l’on se souvienne qu’après tout, elle n’est pas si loin, l’immense et brutale persuasion de l’Atlantique.