#2259

Durant mes dernières années lyonnaises, je me heurtais à la ville. Souvent, en fin de journée, il me prenait l’envie d’aller un peu me dégourdir les jambes, d’aller marcher — mais où? Et je restais chez moi, car au dehors tout n’était plus qu’un autre enfermement, celui de rues mornes et laides, de plus en plus ternes au fur et à mesure qu’elles devenaient plus neuves, en un terrible paradoxe. Finies les petites rues de Villeurbanne, finies les vieilles usines et les maisons campagnardes, finies les ruelles du quartier Lumière, finie la coulée verte du chemin de fer de l’Est… Longtemps j’avais pratiqué la balade urbaine dans ces régions-là, notamment avec mon premier coloc Léo, mais la modernisation et la surpopulation avaient eu raison de tout ce que je trouvais agréable et charmant, et il ne restait que de hauts immeubles neufs et ordinaires, des rues propres et pourtant puantes à la première chaleur, plus trace de vert, plus de respiration.

Ces envies de sortir, elles me prennent toujours, bien sûr. Mais ici, outre que je peux aller respirer dans le jardin chaque fois que je le veux, il me suffit de sortir, de faire quelques pas, et je ne rencontre nulle agression, je respire aisément, l’oppressante sensation de me trouver enfermé même à l’extérieur n’existe plus. Tout à l’heure, je regardais mon bout de quartier, depuis le bord de la voie ferrée, et je me disais qu’ici le ciel semble bien plus vaste. Les maisons étant basses, les nuages ont plus de place, le ciel s’étale à l’aise, il domine, la ville ne se gribouille qu’au ras du sol, humble provinciale. Et même si je ne vais pas loin, juste sur le pont au-dessus des voies, je peux admirer d’un côté l’ouverture de l’emprise ferroviaire en direction de la gare, avec au-delà les vertes collines. De l’autre côté, simplement la large échancrure du ciel au-dessus des toits, les nuées empilées ou l’azur strié de traces blanches, haut, si haut. Ou bien alors, je vais me promener dans les petites rues d’échoppes blondes du proche Bègles. Ou bien encore, je fais ce que j’en suis à nommer le « chemin des boîtes »…

Nous l’avons fait en partie ensemble, souviens-toi Axel, et même entièrement, souviens-toi Christine : le « chemin des boîtes » cela consiste à tourner à gauche après les voies, et à effectuer un certain parcours, pas toujours parfaitement identique, telle rue ou telle autre mais les stations obligées sont les « boîtes à lire » qui, dans un long trajet en demi-cercle, peuvent m’amener depuis la place Nansouty jusqu’aux abords de la Bourse du travail. Oh, je n’y trouve pas souvent grand-chose, dans ces boîtes — et j’y dépose plus souvent qu’à mon tour —, mais qu’importe, c’est la motivation qui compte, l’alibi amusant, pour tracer mon chemin le pas léger.

#2258

Dimanche en banlieue verte. Littéralement, puisqu’il s’agit de Bègles, la ville dont Noël Mamère est le bon maire. Avec deux attraits dominicaux : un vide-grenier, tout d’abord, où j’ai trouvé deux jolies pièces d’enfantina, deux vieux albums qui avaient déjà pris une rincée le matin mais n’étaient pas fichus. Et puis, longtemps que je me disais qu’il fallait que je pousse mes pas vers l’un ou l’autre des nombreux lacs qui ponctuent le territoire béglais. Enfin, lacs, moi je dirai plutôt étangs, mais qu’importe. C’est donc dans la verdure que je me suis promené, aujourd’hui, dans une de ces balades en « coulée verte » comme j’en apprécie d’habitude plutôt à Londres. Bords de ruisseaux (que l’on nomme ici des « estey »), parcs semi en friche, voies cyclables dans l’herbe, lac privé pour cheminots, lac pas privé pompeusement désigné « plage urbaine »… Et photographier sur les bas-côtés l’ordinaire en tableaux serrés, des étendues de petites fleurs, de mauvaises herbes, et puis l’eau sous le ciel bas. Tout de même, il me faudrait un vélo. Ce serait franchement nécessaire, même, pour de plus amples promenades de ce genre.

#2552

Ce petit séjour en Touraine m’aura permis de me rendre compte à quel point je me sens… réconcilié ? complet ? Je ne sais comment le dire, mais du temps de Lyon partir de cette campagne familière était une cassure, une rupture : regagner la grande ville sèche, le trop de monde, l’enfermement d’un appartement. Alors qu’il s’agit maintenant d’un même mouvement, le glissement naturel d’un lieu où l’on respire à un autre lieu de respiration, du même versant du pays, du même confort.

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#2549

Ce matin, alors que je sortais de l’antre de perdition par excellence, la librairie M. (mon dealer), je m’apprêtais à traverser la place Gambetta lorsque mon regard fut attiré par une curieuse statue — oups, mais non, sapristi! Il s’agissait bel et bien d’un véritable héron, et immense, le volatile, très beau avec ses ailes grises et son jabot blanc. Au milieu du trafic, en plein centre de la ville, avec les bus et les voitures partout, et les piétons, tranquille le grand animal se tenait dans la petite mare centrale, observant avec une sérénité statuaire l’agitation humaine. Un instant il déploya sa considérable voilure, juste pour sauter sur un petit rocher puis, de nouveau figé, rester là comme un îlot de stabilité au milieu de brouhaha urbain.IMG_2495

#2547

Il fait tellement doux, en ce moment, que le matin je m’assoie dans la chaise longue, au dehors, et que je lis au soleil. Bonheur simple, partagé par les trois chattes qui gambadent alors autour de moi, se roulent sur la terrasse, mangent de l’herbe, frémissent du museau… Pour ma part, ne sachant guère frémir du museau je tend simplement l’oreille, tâche d’écouter un peu le calme de la ville, la rumeur du boulevard comme un souvenir d’océan, un train qui passe, les oiseaux, un tintement, un aboiement, un coq, une cloche, un pigeon… Toute cette tranquillité depuis un minuscule bout de jardin au fond d’une impasse. Pas grand-chose à demander de plus.