#5007

Courant avril, je réédite mon « long-seller », ce sera sa sixième version. Et il faut que je vous révèle un petit secret, concernant cet Arsène Lupin, une vie : j’y ai glissé un petit peu de ma famille. Figurez-vous qu’en finissant de travailler sur une autre édition de ma biographie du gentleman-cambrioleur, j’avais découvert qu’il y avait un lien *direct* entre lui et les miens.
 
Situons la scène : je suis assis dans un fauteuil, sur la pelouse devant chez mes parents, un ordi portable sur les genoux. Je suis en train de papoter avec mon paternel, car je lui ai fait part de ma légère frustration concernant le sujet des salons littéraires parisiens : j’ai lu plusieurs études sur le sujet, mais toutes se penchent sur des salons bien antérieurs à l’époque de Lupin, au tournant du siècle ou au début du siècle suivant, en tout cas jamais dans la période des Années folles où notre gentleman-cambrioleur se met plus particulièrement à fréquenter les salons huppés de la capitale, certainement afin de glaner des renseignements utiles à ses illicites activités — en plus de son goût pour les frivolités mondaines. Bref, pour ce chapitre j’ai un peu extrapolé depuis des témoignages antérieurs ; et mon paternel de m’apprendre qu’une de mes grandes-tantes, Lucie dite Maman Cie (Lucie Dalloux, épouse Boutilier du Retail, 1886-1968), tenait au milieu des années 1920 un salon littéraire. Intéressé, je lui en fais dire un peu plus, et notamment lui demande de me donner des noms de « gens célèbres » qui auraient été alors des familiers du couple Boutilier du Retail — je sais déjà qu’un de leurs plus proches amis était l’acteur Henri Crémieux, qu’ils cachèrent ensuite durant la guerre, mais qui d’autre ? Et mon père de me citer quelques écrivains déjà oubliés : Maurice Constantin-Weyer, Gérard-Gailly, Maurice Bedel, Claude Aveline (tiens, un polardeux), Francis de Croisset… Je reste un instant interdit, cherchant dans ma mémoire pourquoi ce dernier nom me dit quelque chose… Puis je réalise : attends, attends, tu as bien dit Francis de Croisset, le dramaturge Francis de Croisset ? Oui, fait mon père : l’auteur de pièces de boulevard.
 
Quelle révélation : Francis de Croisset, le troisième et dernier des grands noms du Boulevard, n’est autre que le coauteur de la pièce « Arsène Lupin » avec Maurice Leblanc ! Ainsi donc il existe un lien entre l’univers de Lupin et ma propre famille ; et comment ne pas supposer, de ce fait, qu’Arsène, peut-être sous son identité de Raoul d’Averny, fréquenta alors le salon du 2 de la rue Vineuse dans le seizième ?

#5001

La nuit dernière encore, j’ai rédigé en partie deux scènes, me suis même relevé un moment pour vérifier quelque chose… alors que je suis incapable de me motiver le samedi ou le dimanche dans la journée pour écrire un peu. C’est légèrement absurde et sans doute un rien déplorable pour ma santé, mais enfin le roman avance ainsi à petits pas nocturnes. Les trépignements feutrés d’une averse sur le vasistas accompagnèrent d’ailleurs ces notes ; au matin cependant une belle et grande lumière me rassura quant à ma promenade hebdomadaire, purement urbaine cette fois et touristico-librairienne, un terme qui devrait exister.

#4099

Quelle idée curieuse et passablement masochiste me conduit donc à écrire, littéralement à mes heures perdues ? Après quelques mois à rédiger des fragments (de moins en moins) courts, je me retrouve un peu au pied du mur de mon « grand roman » (une grandeur à ne prendre bien entendu qu’en mesure de mes ambitions personnelles). Il va me devenir de plus en plus difficile de ne rédiger que des passages, je pense, et j’étais sottement un peu anxieux hier soir, au point de n’avoir pas rédigé la scène qui me trottait en tête ce dimanche (mais je ne l’ai pas oubliée). Ce grand puzzle, vais-je parvenir à l’assembler ? Sa machinerie m’a occupé un bon moment au lieu de lire au lit, et si, et si ? Quand, aussi : comment parvenir à mener cette tâche d’ampleur sans devoir attendre la disponibilité probable de cet été ?

#4097

Je me rends bien compte, en écrivant mon « grand roman », qu’il y est souvent question d’âge : une partie des personnages concernés se trouve au bord de la retraite, évolution de leur biographie oblige. Bon, il y aura aussi une jeune femme, deux jeunes filles, deux jeunes hommes… mais la thématique du vieil âge sera tout de même pas mal présente, c’est certain. Effet de mon propre âge bien entendu, moi qui me retrouve à discuter retraite dans des mails avec un vieux copain, par exemple. Un autre ami me dit sa tristesse de n’être pas dans le catalogue des 18 ans des Moutons électriques – catalogue surtout conçu pour les jeunes libraires et donc orienté sur le disponible / d’actualité, au détriment du fonds plus ancien qui n’y figure donc pas, hélas. Cruels arbitrages, des fois, en attendant des opportunités de nouvelles éditions. Et puis j’entends la porte d’à côté — un jeune couple vient de racheter la maison de la vieille dame, cette voisine que je regrette. Leur premier acte a été de couper tous ses arbres, les idiots. De l’autre côté, un autre jeune couple nouveau, aussi, avec un petit qui crie beaucoup, mais fort heureusement les murs sont épais et je ne l’entends que lorsqu’il sort dans la rue. Eh ouais, j’suis vieux.

#4096

Il y a peu, mon excellent camarade Patrick, vil tentateur, m’incita à acquérir un lot de vieux guides sur Londres, qui rejoignirent ma collection en la matière. C’est dans ceux-ci que j’ai pioché quelques brèves descriptions d’un quartier que je savais avoir disparu sous les bombes allemandes : Paternoster Row, cher notamment au détective Harry Dickson. C’est le bonheur d’une uchronie d’offrir ainsi un décor qui en vérité, de nos jours et dans notre univers, ne présente pas le moindre intérêt : les lieux n’accueillent plus que des immeubles récents et des boutiques de chaînes. Alors que pour le parrain de Bodichiev (un personnage que je regrettais de n’avoir presque pas mis en scène jusqu’à présent) il s’agit toujours d’un havre de bouquinistes et d’éditeurs, un délicieux coin de Londres abrité sous Saint-Paul, labyrinthe de petits bâtiments du dix-septième siècle emplis d’une quantité prodigieuse de livres. Je m’efforce dans ce « roman choral » que je construis lentement de faire le portrait des gens et des lieux de mon univers parallèle, plus en détail et de manière plus multiple qu’à travers la focale forcément étroite des nouvelles du cycle.