Coutumier des insomnies, j’ai relevé le store afin de regarder au dehors cette clarté obscure qui sur le Bordeaux nocturne montait mélancoliquement. Seule brillait, dans l’échancrure à droite qui correspond à la voie ferrée, une façade fardée de lumière jaune, dont l’angle aiguë surgit d’un bouillonnement indistinct de la végétation. Au-dessus de mon toit, la cheminée étirait sa longue silhouette comme une protectrice du foyer, totem sombre et toujours aux aguets. Frissonnant un peu, je descendis au jardin et levais les yeux, mais rien ne se distinguait qu’une lune floue, perçant avec difficulté le couvercle de cuivre. Pas d’étoiles, repoussées comme au-dessus de toutes les villes par cet halo trouble et luminescent que fait l’haleine urbaine. Remontant me coucher, j’ai retrouvé avec plaisir la tiédeur de mon lit mais, vers 8h, me suis réveillé d’un coup, poussé à me lever par le poids d’une tristesse dans la poitrine, sans autre raison certainement que quelque déséquilibre chimique ou bien par le souvenir d’un rêve qui déjà s’effilochait.
Archives de catégorie : en songe
#2779
Curieux fonctionnement de la mémoire. Lorsque j’étais en fac de lettres, à Bordeaux III, il s’est trouvé quelques fois un peu avant l’été que j’aille avec des copines ou avec des copains au bord de l’océan, à la plage du Truc vert (oui, c’est réellement son nom, c’est sur la presqu’île du Cap Ferret, du côté du large). À l’époque, le Truc vert était une plage nudiste, ce qui ces trois ou quatre fois-là me sembla merveilleusement libérateur. Mais ce qui est curieux, pour revenir au début de ce paragraphe, c’est qu’il semble que je ne me souvienne réellement que de l’une de ces occasions — ou bien, s’agit-il d’un amalgame dans mon souvenir de plusieurs épisodes distincts ? En tout cas, j’ai le souvenir distinct de deux garçons, que pourtant je n’ai vu qu’une seconde pour l’un, une heure ou deux pour l’autre. Il y a ainsi des images qui marquent profondément, des chocs esthétiques — par exemple le garçon rieur que je vis rentrer dans l’eau au moment où j’en sortais, tout comme des années plus tard le garçon torse nu que je vis traverser un pont à Lyon. Il faudrait pouvoir brancher une imprimante sur nos souvenirs afin d’obtenir une belle photo, sans doute un peu floue sur les bords, mais tout de même. Deux nuits de suite que je rêve des garçons du Truc vert, pourquoi donc ? Mystère du sommeil et de ce qui remonte en mémoire comme une écume sur le vague à l’âme.
#2741
Il faisait beau sur Bordeaux, ce matin, cette sorte de soleil froid de l’hiver qui teinte les dessous du réel d’une teinte orangée et vive. J’habitais depuis peu dans un immeuble dont l’architecture mimait un empilement de grands bidons métalliques jaunes, un voisin m’expliquait que le bâtiment était classé mais que l’on songeait malgré tout à rehausser le ton de jaune pour qu’il soit plus pimpant. Descendant la rue vers la gare, je remarquai que l’on avait abattu quelques maisons, laissant seulement la silhouette maigre d’une construction en briques, très haute, avant le pont. Depuis le parvis de la gare Saint-Jean, l’arrondi de la baie laissait monter le murmure des vagues et de l’autre côté, dans le lointain gommé d’une brume lumineuse, se distinguaient les colonnes et les minarets, les immeubles et les maisons, d’une ville sur des collines au bord de la mer, dont je me demandais vaguement s’il pouvait s’agit d’Istanbul, mais non, ce grand temple atlantéen sur le port, ça ne pouvait être ça. La plage était de gravier, au-dessus de laquelle brillait la coupole de la gare, et je resongeais au train qui lorsqu’il arrive à Venise traverse la lagune au ras de l’eau. Du froid montait de la mer et je me suis réveillé.
#2697
Pourtant il n’a pas plu cette nuit. L’étage de ma maison, deux petites pièces sous le pointu du toit, était devenu un bateau, dont la cale / rez-de-chaussée avait prise l’eau, qui clapotait au débouché de l’escalier en colimaçon. Les trois chattes se trouvaient sur mon lit. Me hissant sur les tuiles en basculant le vasistas, je grimpai sur le faîte et constatai avec soulagement que Mérédith s’y trouvait déjà, conduisant avec sureté notre navire sur une mer laiteuse de lumière lunaire, forcément, nous étions encore la nuit. Le sommet de certains arbres émergeait des vagues en bouquets hirsutes.
#2694
Pourquoi diable ai-je rêvé que je tenais une boutique de thés ? Et c’était assez précis, elle se trouvait cours Judaïque à Bordeaux, avec une jolie vitrine en petits casiers blancs. Mystères de l’inconscient, alors que je suis éditeur et viens de passer le week-end à chiner du vieux papier et discuter bouquins jusqu’aux petites heures du matin. Je reviens d’ailleurs du Nord avec une valise au bord de l’explosion, à mes trouvailles en braderies s’étant ajoutés pas mal de dons de mes hôtes et un achat impromptu à un ami qui se fait maintenant petit éditeur. Ou bien alors, fut-ce le traumatisme de voir tant de gens boire du café ? (Mais leur thé au coquelicot était très bon)