#2571

Avec le choc pétrolier de 1973, il n’avait plus été possible d’envoyer des fusées sur Mars et peu à peu la colonie avait été évacuée. Nous étions parmi les premiers à y retourner, le grand casino en belle architecture sixties se tenait toujours au bord de la ravine, au-dessus du canal ; d’antan toute une génération de musiciens s’y était produite, de ce rock psyché martien qui s’était développé avec tant de succès dans la colonie. Nope, pas un synopsis oublié de R. C. Wagner mais un rêve que j’ai fait, certainement influencé par le souvenir d’icelui.

#2568

Depuis le début de l’année, j’ai pris la résolution de ne plus manger chez moi que végétarien + poisson. Et cette nuit j’ai fait un rêve étrangement en rapport avec une telle décision : je me trouvais dans une réunion de famille au restaurant, et nous remarquions que près du sol un large plateau portait des petits animaux ; il s’agissait de l’équivalent de l’aquarium à homards de certains restos, ces petits animaux devaient être tués sur place avant d’être mangé par les clients. Un peu horrifiés, nous constations que cela comprenait plusieurs écureuils volants, tout mignons, et décidions aussitôt d’en adopter deux.

#2536

Ces temps-ci les débuts d’un projet m’amènent à pas mal ruminer, en particulier quant à Lyon, la ville où j’ai si longtemps vécu. Une ville que j’ai quitté notamment parce que j’avais de plus en plus l’impression qu’il n’y aurait bientôt là plus que « standing room only », toute cette presse de gens, cette surpopulation ; j’ai encore fait deux petites crises d’agoraphobie, ces temps-ci, preuve que je ne suis pas encore tout à fait débarrassé de cette fâcheuse séquelle de mes années de libraire en centre commercial. Bien sûr j’ai eu plein d’années de bonheur, d’appréciation en tout cas, dans cette ville. Mais c’était déjà du passé, Lyon changeait trop. Et puis depuis le vaste et confortable silence qui est mien ici, dans un quartier de Bordeaux pas tout à fait périphérique, je réalise combien mon existence de la rue Paul-Bert tint fréquemment du « fait divers ». Un immeuble sur une cour, tout ce monde serré-serré dans si peu d’espace, finalement. Tous ces épisodes étranges dont je fus le témoin et tous ces moments de vies — dans le désordre, c’est bien le cas de le dire : l’appart de Cyril transformé en galerie d’expo le temps d’un soir ; les pleurs du jeune boulanger, la nuit, battu par son crétin de père ; l’amitié des voisins dessinateurs, David et Ben ; l’adorable pianiste d’en dessous ; le même descendant la façade en varappe pour aller ouvrir notre porte, une blonde nous ayant enfermé dehors ; le pauvre gars obsédé par son ex qui s’introduisit une nuit chez elle ; mon ex coloc Léo dans l’immeuble d’à côté ; le cri de la voisine d’en dessous découvrant mort son fils junkie ; l’année kibboutz avec Olivier, David, Axel et les autres ; Axel du haut de sa grue ; un petit matin glacial revenir avec Sam et l’ordi réparé ; Christopher pour la dernière fois juste une nuit ; les trafics de la famille du « concierge » tous les soirs d’un été ; mon si beau et si blond Werner dont j’ai rêvé trois fois ces derniers temps ; le pot-au-feu de Karly pour me soigner d’un grand chagrin ; Julien C. débarquant dare-dare parce que sans m’y attendre j’ai pleuré au téléphone ; Alex M. ayant loué l’appart d’en dessous pour venir bosser quelques jours ; ce grand échalas de Mathieu qui débarquait à l’improviste ; la dernière soirée avec Olivier en campement au milieu des montagnes de cartons… Tant et tant d’épisodes, tellement d’histoires, tout ce tumulte en mémoire, l’impression avec le recul d’un enchassement avec tant d’autres vies, bien des bonheurs mais trop de douleurs tout de même, pour finir avec deux années en étouffement progressif et l’envie de partir. Mon déménagement ne fut pas une épreuve ni un déchirement : un apaisement, une jubilation, le début de quelque chose de beau. Non que mon existence lyonnaise ne fut pas bonne, je ne m’en fais pas un sombre tableau, j’y ai eu de grandes et de petites joies, la vie quoi, et certains de ses acteurs me manquent aujourd’hui, mais je respire tellement mieux dans une maison, et je me fiche bien de ne pas connaître mes voisins — à part la vieille dame d’à côté, qui marche de moins en moins bien et dont les larmes dimanche dernier, dans son jardin avec sa fidèle amie de tous les week-ends, me serrèrent le cœur et me firent fuir ma chaise-longue. Pour être moins serré-serré de gens alentours je suis à Bordeaux beaucoup moins dans la solitude qu’à Lyon, en vérité. Le calme en plus.

#2504

Ce fut certainement l’expérience la plus plaisamment et authentiquement étrange de mon existence.

Le contexte était émotionnellement particulier : mon dernier boyfriend et moi venions de nous séparer, après quelques mois délicieux. Je savais depuis le début que ma relation avec Werner ne durerait que le temps de son séjour lyonnais mais, malgré tout, retomber sur Terre s’avérait un rien douloureux, je me sentais fragile et déséquilibré. Pour me changer les idées, je me rendis ce printemps-là à Londres, où un phénomène étrange prit de l’ampleur. Depuis peu j’étais sujet à des « déjà vus », des micro-secondes où j’avais l’impression fugace d’avoir déjà vécu une scène ou un instant. Une fois à Londres, ces épisodes se firent plus nombreux, je me souviens d’un moment où, dans la deuxième pièce de la librairie pour enfants près du British Museum (qui n’exista pas longtemps), je me figea pour tenter de saisir une sorte de souvenir, en vain. Ces petites perturbations du réel se poursuivirent durant tout mon séjour, un « déjà vu » dans le bus ensoleillé qui remontait de la Lee River, un « déjà vu »  derrière le Middlesex Hospital (qui lui non plus n’existe plus), un « déjà vu » assis dans un pub de Kensington, etc. Avec chaque fois l’impression d’un souvenir insaisissable, juste hors de portée. Amusé par cette étrangeté, je m’en saisi pour broder quelques histoires, faisant semblant de croire qu’il s’agissait d’instants volés à un univers / une existence parallèles, tant de toute manière j’avais l’impression d’avoir habité à Londres, peut-être… Certaines de ses petites auto-fictions, notées dans des carnets, furent intégrées ensuite à des nouvelles, pour le cycle d’uchronie que je tentais de rédiger — cela semblait s’imposer. De cette trouble uchronie personnelle d’un séjour, et de la fréquence de mes voyages à Londres en résidant toujours à l’Alhambra Hotel près de St Pancras, je conserve encore aujourd’hui l’impression d’avoir en quelque sorte « mon » quartier à Londres, tant bien que je loges maintenant ailleurs, dans le nord.

En rentrant à Lyon, un médecin m’expliqua qu’il s’agissait d’une chose bien connue : un simple manque de fer, qui crée ces « déjà vus » — les neurones qui patinent un peu, créant des liaisons mémorielles fantômes. Quelques pilules de fer et le phénomène fut effacé, presque à mon regret.