#2535

Livres lus ces derniers temps (+ plein de Rex Stout relus sur la liseuse). Les deux Simon Mason sont des polars YA d’une grande beauté de style (ces bribes urbaines ! et ces ombres !) et d’une inspiration remarquablement actuelle, à la fois littéraire et, m’a-t-il semblé, indissociable cependant de la culture « série télé », avec un jeune et bel enquêteur au flegme arrogant comme celui du héros principal des deux premières saisons de Skins, avec une touche de Sherlock, sur une intrigue un peu Twin Peaks. Loved it. 

#2534

Luxe aussi inouï qu’adorable : entrer dans une librairie, et après une bise le libraire de vous annoncer qu’une part de tarte à la fraise vous attend. Et fort bonne, cette tarte à la crème et aux fraises, faut-il dire. Merci Léo, you made my day. Encore une fois, pour moi la Zone du Dehors est bien plus qu’une librairie. Mais foin de gourmandise, c’est d’appétit livresques que je voulais parler : une autre forme de gourmandise, qui prend celle d’une pèche, d’une sérendipité qui m’est chère. À savoir, entrer dans une librairie, errer dans les rayons et se laisser séduire au hasard, par des livres qui vous font de l’œil. Et je dois avouer que cette errance, elle m’arrive bien peu souvent dans les librairies françaises — la faute m’en incombe, je ne me sens pas très à l’aise dans ces rayonnages blanc-beige, la conception germano-pratine de la littérature m’ennuie, le politiquement correct franco-livresque me rebute, la laideur sérieuse et respectable n me met pas en appétit, je (re) connais trop tout cela, la prod locale ne me fait que peu rêver… Alors les rares fois où j’ai l’occasion d’aller dans une librairie anglaise, ah quel bonheur en revanche, quel exotisme soudain : je furète, je découvre, les couvertures me ravissent, les graphismes m’ébaudissent, et je prends des livres qui me font de l’œil, dans un « hasard heureux » qui me déçoit rarement. Tout cela pour dire qu’hier soir, après cette délicieuse tarte aux fraises, pourtant un grand album jeunesse m’a fait de l’œil, je l’ai parcouru, immédiatement sidéré et séduit graphiquement ; je l’ai acheté et je confirme : c’est une pure joie. C’est bien simple, on croirait qu’on l’a fait juste pour moi, cet album : le foisonnement, les animaux anthropomorphes, le format immense, son esthétique… et de découvrir même, à la lecture, que le sujet est discrètement gay : les deux personnages qui se disputent au début et se rabibochent à la fin, c’est bien un couple masculin, visiblement, d’ailleurs à la dernière page se distingue une photo que je suppose être de leur mariage. Auteurs néerlandais, éditeur suisse, chapeau bas.

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#2529

Vu en librairie l’album avec tout un village de schtroumpfettes. Impression d’étrangeté un peu inquiétante, qui rejoint les théories qu’avait Alexandre Mare dans son article « The village schtroumpf » (in Sexe !, chez les Moutons électriques, rééd numérique récente) et croise une bédé de Thierry Martin relue hier soir dans son gros recueil, où il existe aussi un village d’autres lutins, les schbrols : « ils ont l’air encore plus terribles que les autres, se dit Gargamel terrifié, ça doit être une hallucination »…

#2528

Il y a en bande dessinée des sensibilités, des styles, qui me « parlent » plus que d’autres. Ainsi est-ce dès leurs tous débuts que j’ai été attiré par les travaux de Lewis Trondheim, de Jean-Christophe Menu (tous les deux dans des fanzines) ou de David B. Plus tard, j’ai ressenti un attrait comparable dès les premiers travaux de Jean-Philippe Peyraud, de James, de Nylso, de David De Thuin, d’Hugo Piette, de Pau… Autant de bédéastes pas spécialement célèbres je suppose mais qui construisent sur l’héritage classique de la BD franco-belge, « gros nez » et « ligne claire », pour parfaire une patte personnelle, une élégance frêle et bien reconnaissable. Thierry Martin me semble également être de ceux-là, en tout cas dans mes goûts personnels, mais les premières fois que je me suis intéressé à son travail c’était pour des raisons cocassement anecdotiques car familiales : lorsque ma maman était étudiante, à Tours, elle logeait chez sa grand-mère. Mais mon attention fut vite captée, pour de bon.

Et puisque je viens d’évoquer un splendide pavé, par Mattotti, autant que je parle aussi du Hors cadre de Thierry Martin, chez Black & White éditions. Un grand et gros album jaune, de beau format presque carré mais pas tout à fait, qui a l’audace de constituer une intégrale des travaux de Martin à ce jour : étonnant, pour un relativement jeune dessinateur, et si peu connu. C’est donc toutes ses histoires semées dans Spirou, en particulier, que l’on retrouve là et c’est un grand plaisir, le bonheur du trait et celui de pas mal d’hommages, avec Spirou & Fantasio souvent en avant (qu’il est navrant que la direction de Dupuis n’ait pas retenu son projet d’album, ça dit bien à quel point cette collection des « one shot » de Spirou & Fantasio peut être mal dirigée alors qu’elle donne naissance à nombre d’albums médiocres) — et la bonne nouvelle, apparemment un Mickey en cours pour Glénat. Une belle somme, inattendue et qui se déguste : pour moi une gourmandise.

#2527

Il y a déjà bien des années de cela, me trouvant de passage à Paris je suis allé voir mon excellent camarade Sam, qui bossait alors chez Buchet-Chastel. Lequel ami me déclara qu’il lui fallait rendre à quelqu’un un rouleau de documents, viens donc avec moi, on discutera en route. Nous partîmes donc, empruntâmes le métro jusqu’au boulevard de Ménilmontant, poussâmes un lourd portail en fer sous une vaste voûte, grimpâmes un escalier au-dessus d’une cour élégante, et… que vis-je sur la boîte à lettre du pallier ? D’une calligraphie familière, le nom « Avril ». Délicieux traquenard : Sam m’avait amené à l’atelier de François Avril, artiste que j’admire entre tous.

Surmontant pour une fois ma timidité face aux illustrateurs, je papotais donc avec Avril, très sympa, un rugueux mais passionné Parisien, au sein de son grand atelier dont chaque centimètre-carré de mobilier se recouvrait d’une multitude de petits dessins du maître sur des bouts de papier volants. Au bout d’un moment, on sonne à la porte, et entre… Lorenzo Mattotti. Là, je fus repris par mon trac, c’est à peine si je parvins à bafouiller un quelconque bonjour en lui serrant la main. Avril et Mattotti, dans la même pièce, les deux artistes entre tous dont le moindre dessin me soulève de bonheur et d’admiration. (Ensuite arriva Moebius, si, je vous jures) (Et ensuite j’eus l’occasion deux fois de publier Avril, trop gentil de me confier de ses œuvres pour le vil prix que je pouvais payer)

Bref, tout ça pour dire que je viens de lire Guirlanda, le nouvel album de Mattotti, chez Casterman, un monumental pavé dialogué par Kramsky, et que j’en suis remué / enthousiasmé. Maître de la couleur, lorsque Mattotti se met au noir et blanc c’est également magistral, comme l’avaient déjà prouvé deux des plus beaux albums que je connaisse, L’Homme à la fenêtre et Stigmates. Et il revient là encore dans le domaine du merveilleux, en hommage aux Moumine, à Moebius et à Fred, et c’est oooh, et aaah, et wooow…