#2579

Londres, j’ai tout le temps envie d’y être, je lis du Londres en permanence, je pense à Londres en continu. Il n’y a pas d’autre ville étrangère qui m’ait fait ça. J’ai aimé Florence, Venise, Bruxelles, Édimbourg, Lisbonne, New York… Mais ponctuellement, raisonnablement (curieusement, Vienne et Barcelone ne m’ont guère parlé). Non, à dire vrai une seule autre cité d’ailleurs m’a marqué : San Francisco. À laquelle je ne pense que de temps en temps, mais assez vivement, une envie de San Francisco qui est une forme de nostalgie, de regret de n’y être jamais retourné. J’y avais passé, quoi ? Trois semaines ? Il y a bien longtemps, m’y étais laissé vivre, avais adoré cette ville, avais conçu un véritable attachement. Et parfois, me perce ce sentiment, ce besoin d’y retourner. Dans mon recueil de nouvelles, Le Garçon doré (chez La Clef d’Argent), je crois que mon meilleur récit est celui qui se déroule à San Francisco. Il m’arrive d’avoir des images, des sons, des souvenirs de San Francisco qui me reviennent, enchantés, vifs. La brume qui voilait le ciel, la brise marine, les buildings de Downtown, les alignements de demeures Art-déco et de painted ladies aux façades bariolées, les guirlandes de capucines, le bleu ouaté de l’océan, les longues silhouettes des eucalyptus.

#2574

(Notes) Sur le boulevard, les arbres gesticulent, piaillent, trillent et s’agitent des petites flèches noires qui, en retard, les rejoignent vivement.

Dans le ciel, les stratocumulus dessinent une nappe moutonneuse en ligne de fuite. Une lune supplémentaire, accrochée sous le cul d’une grue de chantier, s’épanouie auprès du bloc de béton.

Les vélos filent en rangs rapprochés : grincements circulaires et de guingois.

Au rose crépusculaire succède subreptice l’orangé de la vapeur de sodium, qui poudroie là-bas et grime les façades sous l’ombre tombée.

#2572

J’entretiens une certaine passion pour l’architecture moderne et contemporaine et, au sein de cela, j’avoue un faible plus particulier pour le brutalisme, surtout le brutalisme britannique. Tout ce béton, ce fut longtemps très déconsidéré. Lors d’un voyage à Londres, je conquis néanmoins mon excellent camarade Julien B., qui s’enthousiasma pour le Barbican comme pour le BFI Southbank, et lors d’un autre parcours londonien mon excellente amie Annaïg H. qui professait une sainte horreur du brutalisme tomba amoureuse du Brunswick Centre…

Tout cela pour dire qu’une nouvelle tombée hier réchauffa mon petit cœur d’artichaut. À 88 ans, l’architecte Neave Brown vient enfin d’être récompensé. Une forme de happy ending pour celui dont le thatchérisme détruisit la carrière et la vision. De même que Patrick Hodgkinson, décédé il y a deux ans à l’âge de 85 ans, architecture du Brunswick Centre, avait été prof toute sa vie avant que, à la retraite, on ne l’appelle afin de terminer son unique œuvre, que j’ai connue complètement dilapidée et qui est maintenant un splendide paquebot en pleine ville, une petite utopie enfin aboutie.

#2567

Mon menu lopin sous le haut mur ne l’a pas encore vraiment réalisé mais la saison rousse est bien là, pour ma part je l’ai compris ce soir. Sous un ciel déjà outremer lorsque sonnent les 20 heures, les têtes orangées emmanchées au bout d’un long cou s’allument timidement, hésitantes, brouillant les ombres. Elles accentuent la teinte automnale qui s’est emparée de la petite place pas loin de chez moi, celle qu’enserrent les grises maisons de cheminots, d’un côté, et les blancs pavillons sixties, de l’autre. Un brin de vent fait crisser les feuillages et lève une senteur sèche, alors que pourtant d’intermittentes averses ont martelé tout le jour. Le sol se jonche de boucles rousses, les tilleuls entament leur calvitie hivernale.

#2566

Je lisais à l’instant sur le blog de Christopher Fowler que « The more you look at old films, the more you realise that London passes through distinct cycles, from sumptuous cleanliness to appalling filth. » C’est finalement un cycle par lequel passent toutes les grandes villes, je pense. Et curieusement, autant j’apprécie que Bordeaux soit maintenant largement entré dans sa période « sumptuous cleanliness », en espérant que le haut du cours de l’Yser et tout le cours de la Marne rejoignent enfin ce mouvement… autant j’ai bien au contraire des réticences et bien des regrets concernant Londres, que je vois au fil des années se modifier au point d’effacer la plupart de mes repères favoris. Le canal du Régent est en train d’être transformé du recoin tranquille que j’aimais tant en une autre de ces débauches d’immeubles pour riches et de toc pour touristes ; idem Camden Market, déjà rasé en grande partie ai-je constaté la dernière fois ; le marché de Smithfield, le seul indemne jusqu’à présent, va être en partie transformé en une nouvelle incarnation du London Museum, et que va-t-il advenir de la rotonde qui abritait historiquement ce dernier dans le quartier de Barbican ? Sans parler de la hausse des loyers (et de la montée inexorable de l’illettrisme), qui a fait disparaître la majorité des librairies et bouquinistes de la capitale britannique. Un ami postait l’autre jour sur mon mur FB le strip ci-dessous, qui se moque clairement du style abscons et prétentieux de Iain Sinclair (je désespère de jamais parvenir vraiment à lire ce grand auteur de Londres, hélas), et j’avoue que concernant le « disapproving of gentrification » je suis guilty as charged… et ce non en raison d’un snobisme, comme Sinclair, mais simplement parce que j’ai de l’âge et une mémoire, sans doute…