#316

Deux lectures aussi délicieuses que « décalées », deux flâneries: Les gens de peu (par Pierre Sansot, chez PUF Quadrige) & Cabanes perchées (par Peter & Judy Nelson, chez Hoëbeke).

Le premier prétend être un essai d’anthropologie. Je demeure un peu sceptique quant au sérieux de cette démarche aux prétentions scientifiques: outre mes habituelles réticences quant à la socio/ethno, je m’interroge sur les sources de l’auteur, sur la pertinence de sa démarche aujourd’hui. Les gens de peu me semble un superbe ouvrage de poésie urbaine, une belle pièce de littérature — mais comment l’auteur justifie-t-il de n’étudier en fait qu’une France du passé? Un passé récent mais imprécis, partiellement mythifié, certainement poétisé. Une « France d’en bas » qui fleure les fifties plutôt que le quinquénat rafariniste: ni beurs ni cités difficiles, mais chanson des rues, guérisseurs, petits bricoleurs, ménagères, camping, 14 juillet & Tour de France…

Dans son introduction (narrée avec le pompeux « nous » des Sciences Humaines), Sansot ne présente guère que des excuses & ne cerne pas réellement ni son champ d’étude ni son espace temporel, pas plus que ses sources de recherche… Si la quat’ de couv’ nous dit qu’il « a voulu discerner les traits d’une catégorie sociale d’êtres rapprochés par un certain mélange de modestie et de fierté, et, en particulier, par un goût commun pour des bonheurs simples », nous n’en saurons en fait pas beaucoup plus long… Sociologie réelle ou ethnologie rêvée? Si j’ai adoré ce livre, ce n’est pas du tout en raison d’une quelconque pertinence actuelle, mais parce qu’au contraire j’ai eu l’impression de m’y promener dans une étude du petit peuple selon Simenon… Oui, il y a plus de Maigret, ou un peu de Tati, et même beaucoup de Jacques Réda, que de science ici.

Mon autre lecture/promenade se fit au sein d ‘arbres que couronnent des cabanes: si l’architecture contemporaine est une de mes passions, celle présentée dans ce beau livre est artisanale, non conformiste, bricolée plutôt qu’high-tech. Rêves de logis haut perchés, de frondaisons habitées — de « sentinelles de la canopée », pour reprendre la belle expression des auteurs. Une heure ou deux de fantasme écologico-casanier en alléchantes photos…

#315

Je viens de lire une bien belle bédé: Quartier lointain (tome 1) par Jirô Taniguchi, qui vient juste de sortir chez Casterman, dans leur nouvelle collection « Ecritures » (dont j’aime beaucoup la maquette & le papier, vraiment du soigné comme on en voit trop peu dans le domaine BD).

Il s’agit d’une superbe manga, l’histoire d’un homme de 48 ans qui se retrouve soudainement projeté en arrière dans le temps — dans son propre corps de 14 ans, en 1963. Oui, un petit peu comme dans Replay de Ken Grimwood. Mais le traitement est bien entendu différent: tendre & intimiste, intelligent, vraiment très attachant.

Taniguchi était déjà l’auteur du très beau & très zen L’Homme qui marche (un des mes ouvrages préférés tous genres confondus, tant il me « parle » — dommage qu’il soit si mal reproduit, cependant) ainsi que de la trilogie Le Journal de mon père (qu’il faudrait que je finisse de lire, depuis le temps que je l’ai achetée!). Son trait est simple, classique, limpide (une sorte de Moebius en plus froid).

Et dans la même collec, traduction de Breakfast After Noon d’Andi Watson, cet auteur anglais dont je vous ai souvent rebattu les… yeux?! ici-même… Trait simple aussi, mais à la fois ultra-épuré & charbonneux. Un ravissement de l’oeil, Andi Watson est (pour moi) un maître tant de la pureté de style (tendance Dupuy & Berbérian) que du scénario pertinent/touchant.

#313

Non, y’a pas: la droite c’est vraiment chouette. Ces crapules zigouillent les 35h, inventent une police par jour, s’augmentent leur salaire de 70%… Et le premier ministre fantôme passe du côté des intégristes :

BORDEAUX – La première messe célébrée en latin en l’église Saint-Eloi, depuis que la municipalité de Bordeaux l’a confiée à une association proche des catholiques traditionalistes, s’est déroulée devant 700 fidèles — conspués par des manifestants — mais ravis.

Le conseil municipal de Bordeaux a mis ce lieu fin janvier à la disposition de l’association « Eglise Saint-Eloi », proche de la Fraternité Saint-Pie X, dirigée à Bordeaux par l’abbé Philippe Laguérie, disciple de Mgr Marcel Lefebvre, chef de file des traditionalistes, décédé en 1991. L’archevêché et des associations se sont élevés contre cette décision.

Dimanche matin, une quarantaine de militants d’associations (AC!, Ras l’Front, LCR…) ont tenté de perturber l’office aux cris de : « Hors de Bordeaux, racistes et intégristes »; « Juppé, arrête les cadeaux aux fachos ».

#312

Lu: Les Mémoires de l’Hommes-éléphant, par Xavier Mauméjean. Troisième Mauméjean en peu de temps: tant que j’y étais, autant lire tout ce que le cher homme a écrit. Et je ne suis pas déçu: ce volume-ci propose quatre enquêtes policières menées par Joseph Merrick, le fameux « homme-éléphant ».

Impeccablement recherchées, ces nouvelles (interconnectées en une seule narration) font revivre certains des aspects les plus sombres de la pauvreté victorienne: l’East End dans toute son horreur & la grimaçante charité des nantis de Londres… Stylistiquement, le traitement semble à mi-chemin entre la froideur clinique de Gotham et l’exubérance goguenarde de la Ligue des Héros; Merrick se révèle d’un cynisme terrible, lui que David Lynch avait dépeint si mièvre & gentillet.

Mauméjean a la plume dure, sombre, son humour fait souvent mal. Lecture rapide (le volume est assez court) & passionnante. Une belle pierre de plus à l’édifice des polars pseudo-victoriens.