Lu: The Watch de Dennis Danvers.
En 1921, un homme étrange apparaît à Peter Kropotkin alors que ce dernier est en train de mourir. Cet homme étrange affirme venir d’un lointain futur et propose un pacte non moins étrange au prince anarchiste: renaître à une autre époque que la sienne. Une nouvelle vie! Kropotkin n’hésite pas une seconde — il accepte. Et se retrouve promptement dans son corps rejuvénisé, à bord d’un avion en l’an 1999. Simplement muni d’une carte de séjour américaine habilement fabriquée & de fort peu d’argent liquide, Kropotkin va devoir se débrouiller. Sa destination? Richmond.
J’ai été sous le charme d’un bout à l’autre, subjugué & passionné par ce roman au « feeling » peu courant. Le Kropotkin mis en scène par Dennis Danvers n’a rien d’une marionnette (justement): c’est un homme de chair & de sentiments, aussi crédible qu’attachant. Ce beau roman est en quelque sorte un croisement du Facteur de David Brin & du En approchant de la fin d’Andrew Weiner: il y a la volonté utopiste & la gentillesse du Brin (mais sans rien de sa mièvrerie & du simplisme politico-américain de son très mauvais roman!), l’inéluctable crescendo temporel & la finesse psychologique du Weiner (mais sans l’essentiel de son désespoir).
Car c’est bien d’un roman utopiste qu’il s’agit — et s’il est volontiers « gentil » (car c’est dans la nature de son héros central), en tout cas globalement positif dans sa démarche, il n’est jamais simpliste ni américano-centriste. Et encore moins américano-triomphaliste! Il me semble même assez étonnant de voir un écrivain américain actuel faire preuve d’autant de lucidité sur sa société: les opinions qu’il convie seraient plus attendus chez un journaliste du Monde Diplo que chez un citoyen US…
Et cependant, pas d’outrecuidance, pas de lourde démonstration chez Danvers/ Kropotkin. Le style est simple (au présent, pour une raison exposée à la fin du roman), le récit relativement linéaire, les idées exposées avec l’air de ne pas y toucher… Même lorsqu’elles touchent à un problème aussi crucial que celui des prisons (la population des États-Unis représente 5% de la population mondiale, mais 25% des prisonniers du monde le sont aux États-Unis… l’esclavagisme est décidément au cœur de ce roman: celui des serfs de la Russie d’autrefois, celui des Noirs d’avant la Guerre de Sécession, et celui des prisonniers américains).
Une œuvre au charme simple mais puissant, de la « speculative fiction » de la meilleure eau: il est très plaisant de constater que la SFUS peut encore livrer un roman aussi remarquable.