#212

Ça faisait un petit moment que je n’avais pas lu des nouvelles — ce fut donc chose faite hier soir & ce matin, l’impulsion venant à l’origine d’un copain qui me demandait si j’avais lu sa nouvelle, « La table de poussière » (dans une antho déjà un peu ancienne, chez Nesti: Jour de l’an 1000). Ah oui, au fait: le copain c’est Jean-Baptiste Capdebosq. Qui depuis a également publié dans le dernier Galaxies — où, avec l’outrecuidance coutumière de cette revue, l’on affirmait qu’il s’agissait de son premier texte publié…

Je lu donc ladite nouvelle (très belle ma foi: une fable sur le pape Gerber & sa découverte du zéro ; une jolie manière d’intégrer fantasy et « hard science »!), puis je pris l’antho (Nesti encore) Pouvoirs critiques, que je m’étais justement mis de côté avec dans l’idée de lire les nouvelles de certains copains et/ou auteurs que j’apprécie.

C’est assez gonflé, de nos jours, que de prétendre livrer un recueil de textes de « politique fiction », tant ce sous-genre est déprécié. Mais Jean Millemann, l’anthologiste, est un malin & les textes qu’il a fait écrire n’ont pas grand-chose du pamphlet politico-facile que l’on imagine d’ordinaire derrière l’étiquette « politique fiction » — du moins, pour ce que j’en ai lu: Bordier, Calvo, Dau, Heliot, Lenn & Queyssi. Soit la majeure partie du sommaire, quand même. Le texte de Nathalie Dau m’a laissé plutôt froid, je pense n’avoir pas franchement pigé où elle voulait en venir avec cette sombre fable sur les débuts de l’Humanité & un dieu mesquin. Le côté politique, en tout cas, m’échappe ici. Il aurait également pu m’échapper chez David Calvo & son histoire ô combien tordue de lamantins squatteurs. Mais je connais un peu l’animal (le Dave, pas le lamantin rose) et il m’avait déjà parlé de cette nouvelle. Belle & poignante, sous un aspect loufoquement dérisoire (ah tiens, ça me fait penser que dans Jour de l’an 1000 j’en ai aussi profité pour lire la nouvelle de Fabrice Colin, désinvolte & déjantée). Faut-il y lire une sorte de plaidoyer anti-deep ecology? C’est mon interprétation…

Bordier & Queyssi ont ceci en commun de mettre en scène des sociétés plus ou moins primitives — en tout cas, dérivées de sociétés archaïques de notre histoire. Dans les deux cas, il s’agit de superbes fables politiques, exotique & cruelle chez Bordier, philosophique & policière chez Queyssi. Ce dernier n’échappe pas au travers didactique de la mise en place d’une utopie, mais sa nouvelle demeure prenante.

Heliot ne m’a guère convaincu — j’ai eu l’impression de lire du (mauvais) Lehman. En revanche, j’ai adoré l’enquête policière proposée par Jonas Lenn, longue & remarquablement bien fichue. Le perso principal, en particulier, est campé avec une rare richesse. J’avais pris à l’auteur une autre novella sur ce perso, pour le projet ô combien défunt d’Escales 2002 (kill Vivendi die die die), et je suis ravi de voir qu’il continue à explorer cet univers-là.

Well, sinon je me suis fait un petit péché mignon : une nouvelle de Sherlock Holmes. Le vrai ! Celui de Doyle : « The Adventure of the Abbey Grange ». À force de lire des faux Holmes, j’en perd un peu de vue les textes fondateurs de Doyle ; je me suis donc payé il y a quelque temps une très belle édition hardcover complète (chez Doubleday), afin de remplacer mes vieilles éditions moches & avoir vraiment tout de belle manière.

Autre péché mignon : quelques nouvelles de Sylvia Townsend Warner. La grâce toute simple, quasi impressionniste, des nouvelles de cette autrice, me séduit énormément. Anglophilie oblige… J’aime donc me replonger dans ces petits portraits ô combien précis & singuliers, de temps à autre. Ils ont comme un léger parfum désuet, un charme un peu poussiéreux mais touchant.

Sinon, je n’ai pas terminé The Golems of Gotham, un roman que je devais lire pour Denoël (par Thane Rosenbaum). Ça commence de manière amusante & originale (une gamine juive, à New York, veut fabriquer un golem avec la boue de l’Hudson River afin de réveiller son père qui sombre dans la dépression & la crampe de l’écrivain, mais à la place elle réveille les fantômes de plusieurs survivants juifs des camps de concentration, qui se sont suicidés — dont Jerzy Kosinski & Primo Levi). Mais cette étrange histoire de fantômes m’a semblé assez vite s’enliser dans des considérations oiseuses, des bla-bla à n’en plus finir, des séquence de trois pages qui s’en seraient mieux portées si elles n’en avaient fait qu’une… Et puis, à hésiter tout le temps entre la gravité (l’Holocauste !) et la légèreté (les journaux du père comme de la gamine sont assez amusants), l’autrice n’atteint qu’une sorte de ton moyen, une languidité pas vraiment très prenante…

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