#399

Lambesc, notes éparses d’une semaine

Il y a un réconfort à trouver dans les gestes simples de la vie quotidienne. Laver une cuillère sous l’eau courante du robinet; couper en petits dés des pommes de terre nouvelles avant de les plonger un à un, en prenant garde de ne pas éclabousser, dans l’eau frémissante; s’asseoir à la table de la cuisine & manger lentement une soupe de fanes de radis… En lisant la prose atone de Patrick Modiano, lisse & blanche: comme cette sorte d’anesthésie des sentiments que j’atteint après le bouleversement, la tempête émotionnelle qui m’a récemment secoué. Je goûte dans la solitude de cette grande & belle maison un retour au calme, mon horloge interne s’est enfin ralentie: je ne regarde pas le passage des heures, je m’efforce de ne pas trop « introspecter ». Vivre à la surface des choses, simplement.

Un gros pigeon somnole en plein soleil, au coin de la gouttière. Puis, sans raison, il part brusquement, en faisant claquer ses ailes. Les mésanges ne prennent pas garde à moi, elles volètent autour des petits sacs de grains & de graisse suspendus dans un arbuste au bord de la terrasse. J’écris dans des cahiers: je possède déjà toute l’intrigue d’une nouvelle. Et pour une fois je crois qu’elle sera raisonnablement brève. Hier, je suis descendu me promener dans le village, glaner quelques décors.

Dans la baie vitrée, je surprends mon reflet. Pull côtelé, écharpe rouge autour du cou, un canotier sur la tête, n’ai-je pas l’air terriblement XIXe siècle? Amusé, je replonge le nez dans mon grand cahier. Puis ayant terminé le yaourt, je me lève afin d’aller rincer la petite cuillère.

Du zen dans l’art de laver la vaisselle?

Terminé Quartier perdu de Modiano, qui après une irritante mais réussie langueur, s’arrête soudain, sans raisons bien visibles — comme si l’auteur avait décidé que ça ferait plus intello de demeurer sur une telle sensation d’inachevé. Quel élégant ennui.

Une véritable retraite: beaucoup de sommeil, un calme parfait, j’ai l’impression de flotter dans de vastes journées toutes emplies de soleil. Installé sur la terrasse, j’écris: pari tenu, je suis parvenu à écrire une nouvelle durant ce séjour. Et pour une fois, il s’agira bien d’une nouvelle plutôt que d’une novella — il y a un moment que je désirais parvenir à faire tenir une enquête policière dans une simple nouvelle.

Promenade: aller & retour à rythme lent, sur le bord du canal de Marseille. Bois de chênes verts (mais je devrais peut-être écrire « bois de yeuses », dans le Midi?), forêt de pins, champs. Manches retroussées, poings dans les poches, canotier de Charles X solidement planté sur la tête, j’avance du pas méditatif d’un homme qui n’a d’autre activité que de tendre les oreillles & ouvrir les yeux: l’observateur.

Ma solitude de promeneur s’accompagne d’abord des gloussements imbéciles d’un élevage de pintades, puis du ronflement d’un tracteur. Perché sur un petit pont, à la courbe quasi-japonaise tant elle est prononcée, je termine mon pique-nique. La pierre grise se couvre d’un lichen si orangé, presque doré, qu’il « tire » l’oeil. Les motifs qu’il dessine ajoutent à l’aspect nippon de cette arche étonnante.

Et lorsqu’au détour de la route, je revois Lambesc, c’est avec au premier plan un vénérable pommier en fleurs, puis se détachant nettement de la masse gris-rosée du village, le clocher arrondi de l’église, coupole éclatante au soleil, que souligne par l’arrière la silhouette bien découpée d’un pin: ainsi cadré, un morceau de paysage extrême-oriental…

« Traquer la rencontre miraculeuse entre les contingences passagères & la vérité immuable. »

Chaque soir des cieux renversants, où le soleil rougeoyant change chaque fois d’habit. Avec le regard qui court sur les toits, rose éteint & beige vibrant, pour butter tout au fond sur ce bouquet de pins, presque trop pictural pour être vrai. Et le ciel immense. Un soir laiteux, brouillé de gris & de fauve; un autre soir enflammé, chaud; ou encore transparent, plein d’effets jaunes, brillants. Certes, j’aurais aimé être peintre. Et je comprends bien la fascination qui était celle de Monet ou bien de Marquet, pour un paysage qu’ils peignaient ou repeignaient sans cesse, à des heures & des saisons différentes. La fascination pour une vibration propre, la densité de ce qui s’impose à vous.

La nuit, la voûte nocturne s’emplie d’étoiles &, juste sous la fenêtre de ma chambre, une unique lanterne blanche jette sur l’impasse une lumière si crue qu’elle la transforme en décor noir & blanc pour film d’autrefois. Pagnol le jour, Clouzeau la nuit?

Fondation Vasarely à Aix: moins qu’une plongée en art (j’hésite à parler d’art…. Il se disait lui-même « plasticien », d’ailleurs), une plongée dans des souvenirs & émotions esthétiques de jeunesse, les années 70 au sein desquelles je fus élevé — littéralement: Cergy Ville Nouvelle. Une époque & des lieux emplis par Vasarely.

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