#783

>> Devon & Cornwall (6)

Plymouth by night — Le désert. Bombardée en 41, la ville s’est dôtée d’un rêve d’urbanisme fifties, du genre à faire passer Le Havre de Perret pour une réussite d’humanisme et le Playtime de Tati pour une dramatique.

Bâtiments bas, très large allée paysagée centrale, lignes simples, cliniques: un rêve, en effet. Sur le papier. Dans la réalité, le pire exemple qu’il m’ait été donné de voir de reconstruction post-war. Un centre-ville stérile, étranglé par une boucle d’autoroute. Avec juste le quartier du port pour tenter de vaguement jouer les attractions touristiques, et ce n’est pas grand-chose.

#781

>> Devon & Cornwall (5)

Truro — Serpentant sous la masse hautaine de la cathédrale gothique de 1900 toute en pierre safran rigoureusement rectiligne, la petite rue commerçante géorgienne offre son assortiment habituel de boutiques franchisées logées dans des maisons anciennes. Que c’est triste, cette standardisation du petit commerce.

Sur la rue principale, une haute maison victorienne domine un carrefour de son faciès en grès pincé. Un salon de thé se cache tout en haut, de style victorien reconsstitué: papier peint à motif classique, lourde bibliothèque pleine d’épais volumes en cuir, et sous les fenêtres hautes et étroites, les serveuses en tablier blanc sur gilet noir apportent les rations de scones, de carot-cake et de cream tea. Aux autres étages, desservis par des portes aussi basses qu’exiguës, des sortes de magasins d’antiquités, le tout tenant autant du musée que de la galerie marchande.

Les touristes assis derrière maman sont de jolies caricatures d’Anglais: la mère a des boucles qui lui retombent le long des bajoues, on croirait qu’elle porte une perruque de juge d’autrefois. Le père au visage rouge est vêtu de gros velours côtelé. Le gars a un drapeau briannique brodé dans le dos de son survêt. Un doute me saisit: sommes-nous caricaturalement français?

Truro

Mouette

#780

>> Devon & Cornwall (4)

Poésie incongrue du nom de certains plats traditionnels anglais: « Angels on horseback » (des anges montés à cheval), « Toad on the hole » (le crapaud dans son trou). Délice renouvelé du cidre Strongbow, à la fois fort et plat, parfumé et piquant.

Voyage avec mes parents: ils se désignent mutuellement, dès que nous sommes sur les routes de campagne, les fleurs poussant sur le bas-côté. Narcisses, jonquilles, lunaires, primevères… La couleur des voitures les interpelle aussi: paraît-il qu’on ne voit plus guère d’autos rouges, en France. C’est ici toujours très largement à la mode, visiblement, au nombre de véhicule férocement couleur pompier qui nous croisent sur les routes étroites. Surprise de teinte, encore, avec deux Nicra rose pâle vues à Exeter.

Sur Dartmoor, d’étranges grilles découpent parfois la surface de la route: des cattle grids, destinées à empêcher le passage des moutons.

Exeter — Rien à déclarer, une cathédrale, pas grand-chose d’autre à commenter si ce n’est que mes parents découvrent le cream tea, et donc le plaisir sensuel de la clotted cream — une gourmandise typiquement anglaise, de la crème très épaisse, entre crème fraiche et beurre.

Exeter

#779

>> Devon & Cornwall (3)

Dartmoor — Il faut bien que je parle de Dartmoor, mais qu’en dire qui ne soit ni banal ni trop vague? Ce séjour me donne l’impression d’avoir atteint les limites du procédé des « carnets de voyage ». De manière plus générale, ne fais-je pas avec ce blog « montre (de) la banalité au coeur de (ma) vocation à la singularité », pour citer Jean Borie, en me livrant tant et tant à l’une de « ces activités qui n’en sont pas et dans lesquelles l’individu moderne place ce qu’il croit être le coeur précieux de son être singulier »? D’ailleurs, si j’ai fait bon nombre de photos durant ces quelques jours, ce fut moins pour illustrer mes visites, pour prolonger mes regards, que pour alimenter certains de mes prochains ouvrages en matériau photographique.

Dartmoor, c’est bien entendu le Chien des Baskerville, Sherlock Holmes enquêtant sur cette étonnante lande perchée à 300m d’altitude. Sortant de la voiture pour photographier les touffes de bruyère (il paraît qu’on en fait de la bière?!), les effondrements de tourbe, les moutons à tête noire, le jeux de la lumière sur ces collines peintes de paille et de Sienne, j’hésite entre une sorte d’exhaltation sans objet — juste provoquée par l’immensité de ce paysage, la désolation de ces reliefs que l’on croirait volcaniques mais ne sont que végétaux — et la tension écrasante de la solitude.

Nous avons opté de traverser le Moor par le milieu, ce qui nous prive de la vision des « tors » (les tas de pierre sculptés par l’érosion, situés plus loin au nord), mais nous permet de monter jusqu’au fameux pénitencier de Princetown, en plein centre du plateau. Au lieu-dit Two Bridges, la route forme une boucle vers la seule ville du Moor, construite autour de l’impressionnante prison. Petite déception: le musée du pénitencier, conseillé par mon camarade Mauméjean, est fermé. Satisfaction: il fait un temps de chien. Eh! c’est que Dartmoor sous le soleil, sans la pluie cinglante et la brume cotonneuse, ç’aurait été passablement « faux ». Nous essuyons donc une remarquable bourrasque, grêle comprise, alors qu’il aura fait remarquablement beau durant tout le reste du séjour.

Photos utilitaires, disais-je: au-delà du Holmes auquel je vais enfin travailler en rentrant, se profile aussi un Hercule Poirot pour l’an prochain. Je m’interrogeais sur l’approche graphique à lui donner, sachant que là nulles gravures classiques existent, et que je n’ai aps spécialement accès à des photos et/ou publicités anglaises des anénes 30, type d’illus de toute manière déjà amplement utilisé pour mon Lupin et notre Holmes. Je songe donc, finalement, ponctuer mes pages de photos de détails architecturaux typiquement british. Et craignant que mes photos de séjours londonniens ne soient guère utilisables, et celles de mon oncle Jean pas assez abondantes, j’ai donc consacré une part non négligeable de mon « temps de regard » a repérer et mitrailler les fenêtres anglaises.

Et puis il y a Burgh Island, cadre tant des Dix petits nègres que, et surtout, d’Evil Under the Sun, alias Les Vacances d’Hercule Poirot. Nous filons donc par les routes extrêmement étroites et encaissées de la côte Atlantique, littéralement creusées dans la prairie, afin de rejoindre le lointain Bigbury-on-Sea et enfin voir, miracle de la vision d ‘un lieu devenu presque mythique à force d’en consulter la documentation (romans, feuilleton, photos…), cette colline plantée sur la côte, haute et ronde, qu’orne un élégant bâtiment art-déco, tout de blanc couronné de vert-cuivre étincelant. Marée basse, l’île n’est encore que presqu’île. Dans le sable, se lisent les traces du « taxi de mer », l’étrange véhicule haut sur roues qui permet de relier l’hôtel au rivage. L’estuaire de l’Avon scintille dans la brume azurée du beau temps, la rivière se perd dans la Manche en une impression de bancs de sable, de langues liquides, de rochers épars, d’étendues herbeuses et de longues traines d’algues, un marécage translucide, couleur de ciel et d’eau, d’huitre et de limon. De ce côté, la mer, retirée dans l’arc de la baie, semble n’être qu’une barre d’un bleu anthracite, immobile entre la pointe verte du rivage et les brisants invisibles des jupons de Burgh Island. De l’autre côté de l’île, la Bigbury Bay tire son croissant sous les falaises rousses.

The Moor

Dartmoor Prison

Burgh Island