#1292

Amusant: j’avais déjà croisé le roi Arthur sur une passerelle de la Saône, et j’ai passé ce matin une bonne heure dans le bureau de l’état-civil de la mairie du 3e, à côté du seigneur Bohor. Les « people » lyonnais sont très fantasy.

#1291

Lu « La Malédiction d’Old Haven », de Fabrice Colin. Un fort pavé: 640 pages, ou peu s’en faut. Pourtant, l’intrigue en est si prenante et le style de Fabrice tellement fluide, comme toujours, que j’ai lu cela en trois jours seulement.

S’agissant d’une publication de la collection Wiz de chez Albin-Michel, je suppose que l’on s’adresse à des ados — mais ça ne ressent pas spécialement. Bien au contraire, la fin est particulièrement noire. Ne connaissant finalement pas trop ce qui se fait en fantasy pour les ados maintenant, je m’étonne — mais me réjouis — d’un ton aussi mûr. Ce mélange de fantasy et de lovecraftien devrait en secouer plus d’un, tout de même! En tout cas, que voilà une belle oeuvre, puissante, emplie d’images superbes, et portée par une intrigue vraiment originale. Ces dragons, ces mages cachés, ces complots de sorcières vouées à Dagon, ces paysages tourmentés de Nouvelle-Angleterre, ce New York (Gotham) quasi médiéval, ces technologies steampunks, ces pirates… quelle richesse!

Amusant: j’ai lu ce Colin entre deux Vonarburg, et dans les deux l’on nous propose des uchronies religieuses! Chez Vonarburg, c’est une Terre où une partie des pays d’Europe ont suivis la voie gnostique et arianiste (Jésus avait une soeur jumelle, Sophia) ; chez Colin, les Catholiques ont imposé une nouvelle Inquisition sur le territoire nord-américain (balayant les Puritains). Mais, alors qu’on se trouve chez Vonarburg dans une littérature de style et de construction classique (au sens Balzac-Maupassant du terme, disons), Fabrice Colin s’inscrit dans une littérature contemporaine, et plutôt anglo-saxonne de forme (au sens Gaiman-Swanwick), avec suspense puissant, action constante (je ne puis m’empêcher de me dire qu’il tenait là la matière de ce qu’une ambition moindre que la sienne aurait transformé en trilogie), fuite en avant des personnages-vecteurs. Colin ne cesse de bâtir des constructions fabuleuses, de véritables rêves de gosses (maisons sous un arbre, palais caché dans une falaise, etc) — pour aussitôt les détruire! Réjouissant et haletant.

Le seul élément, peut-être, qui pourrait empêcher de considérer ce roman comme un pierre véritrabelement majeure de la fantasy, c’est, comme toujours chez Colin, une certaine tendance à l’hommage: ici, des emprunts à Lovecraft, un clin d’oeil à Derleth, ce genre de choses. Mais qu’importe en vérité: Swanwick aussi, a fait partiellement dans le post-modernisme avec son chef-d’oeuvre qui sort aux États-Unis en janvier prochain (« Dragons of Babel »), et sans doute est-ce une voie importante pour le merveilleux: reconnaître son propre passé, pour cérer de nouvelles intrigues — bien loin du tolkiennisme. En tout cas, je m’estime veinard d’avoir lu presque coup sur coup autant d’oeuvres fortes et majeures de la fantasy: le Swanwick, les Vonarburg, ce Colin… Fichtre! Je ne suis pas certain que la science-fiction présente actuellement une telle vigueur.

PS: juste trois détails… Le titre ne me semble pas très pertinent, il reste des fautes d’orthographe et de typo (qui a dit qu’on n’en voit que chez les petits éditeurs, hm?), et… Fabrice, le coup du marin-pêcheur qui veut se noyer dans son travail, c’est un jeu de mot volontaire?

#1290

Raymond Barre vient de mourir et aussitôt les journalistes (journal de 20h sur France 2) mentent et déforment. « Il restera comme le maître d’oeuvre des grands chantiers de la deuxième ville de France »… Faux, archi-faux: c’est la municipalité de Michel Noir qui lança tous les grands travaux de Lyon, et la municipalité de Barre ne fit que les freiner, les suspendre, les restreindre. La municipalité Barre, ce fut l’attentisme, la frilosité — et le clientélisme (scandale du nouveau périf). Il fallut attendre l’actuelle municipalité, socialiste et verte, pour qu’enfin le tramway soit installé, que les berges du Rhônes soient aménagées, que la Confluence s’ouvre. Raymond Barre maire de Lyon, c’est surtout une augmentation de plus de 1000 % des impôts locaux dans mon quartier! Il ne s’agit pas d’une faute de frappe: mille pour cent, mais oui. Et puis, Barre maire de Lyon, c’est la défense de Bruno Gollnisch et de Maurice Papon, ce sont des propos sur des complots juifs… Rien de très joli.

#1289

Trouvé par mon oncle Jean: Nietzsche répond à Sarkozy…

« Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail », je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir – qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité ; et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme une divinité suprême. »

Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux, 1881.

#1288

Rêvé que je me trouvais, en compagnie de ma maman, dans une banque quelque part à la campagne. Nous étions assis face au bureau d’un jeune banquier à cravate, très aimable, qui évoquait les possibilités de prêt pour les Moutons électriques. Tout en me disant que nous avions déjà une banque à Lyon et que les Moutons ne cherchaient pas un prêt, j’écoutais quand même poliment mon interlocuteur. Qui nous proposait un prêt à hauteur de 5000 euros pour chaque oeil d’Odin, et commençait à nous expliquer comment construire une effigie en paille du dieu afin de bénéficier d’un tel prêt… Je l’interrompai, gêné de tant d’inculture, pour lui expliquer qu’Odin étant traditionnellement borgne, cela ne ferait donc que 5000 euros en tout. Et le jeune homme de continuer, imperturbable: non, nous pouvions fort bien avoir un prêt par orbite, mais attention, la poupée en paille devait être placée dans une petite barque.