#2273

Matin désert, la ville semble presque vide, rideaux tirés sur les devantures de boutiques et rues sans circulation automobile. Une brise caressante fait danser des cornes et des filets sombres dans l’ombre de ma chevelure portée sur le trottoir, nettement découpée par la lumière, sous le ciel d’un bleu sans tache. C’est même la seule ombre, à cette heure les immeubles n’en projetant encore ni d’un côté ni de l’autre de l’artère, comme si le matin collait leur part sombre aux façades. Pas d’habitants, pas de commerçants, la cité n’est plus livrée qu’aux seuls ouvriers, et l’unique bruit montant dans l’air calme le fait grinçant et tournoyant, une scie circulaire, qui chaque matin nous réveille. On a évacué la population sans me prévenir ? Visiblement, il s’agissait de faire place aux travaux : il n’y a plus que cela, tout alentour ça grince et ça tape. Les « maisons de ville », sortes de pavillons montés sur des terrasses, sont apparemment en cours de finition, enfin. Le supermarché en bas du nouvel immeuble doit ouvrir « courant septembre », l’entrepreneur demeure prudent. Mais des hommes en bleu vont et viennent dans la vaste caverne, et devant, sur le trottoir, gît l’immense ligne droite d’une poutrelle en fer, segmentée comme des étagères. Un trottoir mis à nu, béton et gravier, tout comme la rue : macadam arraché, Paul-Bert est un écorché qui crisse sous le pas, les plaques d’égout comme un eczéma. Plus loin, le terrain vague soulève ses monticules de gravats entre les lignes brillantes des nouveaux rails, s’entrelaçant au carrefour en un complexe arachnéen. Un ouvrier les décore de traits orange fluo, à la bombe. Une fille passe qui danse doucement sur sa bicyclette. Une autre me lance un méchant regard, elle ferait un très joli garçon dans sa salopette kaki. Dans la cour, les claquements d’aile d’un pigeon. Je retourne à mes propres travaux.

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