#2486

10551098_570370693072293_2294630389359355458_nJACKALOPE : observé pour la première fois en 1932, dans la région de Douglas, dans le Wyoming, cet animal rare du continent nord-américain prend l’aspect d’un gros LIÈVRE possédant une paire de bois comme ceux d’un renne ou d’une antilope. Très farouche, le jackalope est excessivement difficile à attraper, d’autant qu’il utilise sa capacité d’imiter la voix humaine pour troubler ses chasseurs par des « Il est par ici ! Il est par là ! » qui les égarent. Des témoignages de cowboys existent, qui entendirent dans la nuit un jackalope répéter les paroles de la chanson qu’ils venaient de chanter au coin du feu. Les mêmes cowboys prétendent que le meilleur moyen de capturer le « lapin cornu » est de l’appâter avec un bol de whisky — l’animal une fois soûl se laissera approcher. Il se dit également que la femelle jackalope donne un lait aux multiples propriétés médicinales : il faut la découvrir endormie sur le dos afin de pouvoir la traire.
Dans son roman Medicine Road (2004), Charles de Lint met en scène une jackalope ayant été transformée en humaine : « Sa peau conservait un motif proche de celui de l’écorce du platane, allant de taches d’un brun sombre jusqu’à des traces presque blanches — il s’agissait de la seule chose qui lui restait après le changement, elle portait le motif de sa fourrure sur sa peau quand elle devint femme. »

(extrait du Dico féerique tome 2)

#2485

Banalité que de le dire, mais je ne me lasse pas (encore) de m’étonner à quel point les « mauvaises » herbes poussent bien plus vite que les « bonnes », tel ce minuscule brin de laurier qui ne semble pas avoir poussé d’un pouce depuis que par mère l’a découvert, tandis qu’autour de lui je ne cesse d’arracher de grandes et vigoureuses horreurs.

Autre sujet d’étonnement (agréable), le fait que la maison se salisse si peu. Comparé à la grasse et noire poussière de Lyon, où je m’escrimais en permanence à laver, épousseter, nettoyer, ici en dehors des poils de chat il n’y a pas réellement de pollution perceptible. En revanche, je balaye souvent les carreaux en pierre de la terrasse. L’esquisse d’orage d’hier avait fait tourbillonner follement les feuilles, paniquant la petite chatte ; ce matin, la tâche de nettoyer tout cela s’avéra étonnamment aromatique, la bourrasque ayant arraché beaucoup de feuilles de menthe. Une branche de bambou a cassé, aussi, hélas.

Au fait, cela fait pile six mois que je suis arrivé ici. Six mois et toujours le même bonheur, cette sensation de plénitude. Merci Bordeaux.

#2484

Le « camp des Romains », ce nom m’aura durablement fait rêver. Autrefois, mes parents avaient une maison de campagne de l’autre côté de la Vienne par rapport à Chinon, dans un étroit vallon dominé par des forêts. Et si vous montiez la rude pente du côté droit, tout en haut, avant de tourner vers le bourg de Cinais, débutait là un chemin forestier au bout duquel s’ouvrait soudain un endroit magique, hors du temps : le camp des Romains.

Après le bois, le ciel se dégageait sur un paysage de rochers blancs et de sol sableux, dessinant le vaste cercle d’un plateau cerné par les arbres. De larges avenues entre pierre et herbe sillonnaient ces lieux, de chaque côté desquelles s’étendaient des plages rugueuses, des éboulis crayeux, de souples pelouses, des jungles basses d’ajoncs et de bruyères, quelques mares dans les encoignures rocheuses, le tout ponctué des silhouettes tordues d’arbustes et de buissons. L’on pouvait pénétrer en dehors des avenues, par d’étroits sentiers, à peine des pistes, tracés par les troupeaux de chèvres qui venaient se nourrir là. Chaque pas se devaient d’être calculé, pour ne pas s’enfoncer dans la tourbe humide, ne pas se tordre les chevilles sur la caillasse, ne pas se faire griffer par les ronces… On aurait dit que le marteau d’un géant avait concassé ce terrain, révélant les os brisés de la terre. Et des géants il y en a, en Touraine, c’est bien connu : d’ailleurs, n’est-ce pas ici que Gargantua fit enterrer les morts de la guerre picrocholine ? Ignorant ce macabre détail, étant môme, je ressentais pourtant bien le mystère de ce plateau singulier, où le rose-mauve des bruyères frémissait en mousse piquante, où après un chemin secret entre les troncs de jeunes frênes, en évitant la piqûre des houx, l’on pouvait parvenir jusqu’à un jardin creux où l’herbe formait un tapis si épais au-dessus d’un point d’eau que l’été, quand toute humidité avait disparu, c’était comme un doux matelas végétal. Et la vie aquatique, les dytiques, les têtards, les grenouilles et les tritons, tous l’univers sans pitié des larves, trouble, ténue. Les notonectes ramant sur l’eau et les libellules planant au-dessus. Le chèvrefeuille tissait des cabanes vertes et odorantes, de jeunes arbres poussaient téméraires leurs troncs souples, érables, châtaigniers, pins, bouleaux, les tiges sombres du nerprun balançaient leurs baies, digitales, orchidées et réséda apportaient des touches fleuries au sein des nervures blanches du calcaire…

J’y suis retourné, ce week-end. La végétation s’y presse en rangs toujours aussi divers mais le temps ayant passé et les chèvres ayant déserté les parages, désormais le camp des Romains est une impénétrable énigme — littéralement impénétrable, tout a poussé, en un épais chaos végétal, que seuls lapins et cochons doivent encore parcourir. Nous sommes restés sur l’avenue, cueillant un peu de bruyère pour refaire les bouquets maternels, c’est étrange, d’ordinaire lorsque l’on retrouve les lieux d’une enfance ceux-ci semblent avoir rétréci, alors qu’ici, tout a grandi, le paysage s’est élevé, et les cheminements dans lesquels je pouvais me faufiler étant ado sont désormais clos à mon âge adulte.

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#2483

Un petit voyage down memory lane : je me promettais depuis mon retour à Bordeaux d’aller un jour me promener sur le campus de Talence, dans le triangle que je fréquentais il y a 30 ans — fac de lettres, BU, Village 5 et IUT. Je le fis donc tout à l’heure, avec un sentiment moins de nostalgie que d’amusement léger. Le tram n’effectue pas tout à fait le même trajet, mais j’ai trouvé sans problème. Tout cela n’a guère changé, les bâtiments années 30 à l’entrée du campus sont dans un état de délabrement avancé, les bâtiments années 70 que je fréquentais ne sont pas tellement plus usés, on a posé çà et là quelques lames de métal ou de bois pour camoufler des façades, mon aile du Village 5, où j’ai résidé deux ans, est d’une touchante vétusté. La pelouse n’existe plus où j’avais osé dire « je t’aime » à un garçon prénommé Patrick. Le petit bois de pin à côté de la BU est toujours là, grand et sombre maintenant. Sur les immenses prairies, les petits peupliers sont devenus des lances végétales géantes et toute une diversité arboricole les accompagne : chêne vert, bouleau, sapin, pin. L’IUT se barricade maintenant derrière des grillages verts et là où se tenait le journalisme et les métiers du livre (habillés de neuf en centre-ville) s’annonce maintenant un mystérieux « mediadoc », mais sinon pas grand-chose de neuf.

Amusant comme ce plat paysage de prairies et de pins a influencé mon imaginaire, je rêve encore souvent de lieux semblables, alors qu’il me semble avoir passé mes trois années d’études essentiellement dans un état de grande insouciance et de superficialité — je ne connaissais quasiment mes camarades que par leur prénom, n’ai retrouvé un peu après ma copine Charlotte que par hasard. Au retour, du centre de Talence il ne reste absolument rien, en dehors de l’ancien château Margaux. Tout y est neuf et quelconque.