#2595

Évoquant des romans de fantasy qui se déroulent en cadre contemporain, mon excellent camarade JJR m’écrivait l’autre soir que « ce genre de texte souffre un peu, à mes yeux, de présenter paradoxalement plus de crédibilité dans ses aspects de fantasy ou de fantastique, ici très bien venus, que dans sa partie « réaliste », parfois maladroite, ou trop convenue » … et je ne peux qu’être généralement d’accord avec lui, ayant eu un peu de mal à lire le dernier Charles de Lint, par exemple, où les psychologies de personnages sont toujours un peu gentillettes, brossées avec un pinceau un peu trop épais. Bon, n’arrange sans doute pas que dans ce cas précis, j’ai également été vaguement gêné par le fait qu’un vieux mâle blanc mette en scène toute une galerie d’Amérindiens et leurs mythes supposés. Bref, en fantasy urbaine ce déséquilibre entre surnaturel et réalisme du décor me semble assez bien compensé, le plus souvent, par l’aspect policier, par la manière typiquement polar de camper protagonistes et narration. Mais j’avoue que le manque de psychologie dans les littératures de l’imaginaire me frustre un tantinet, par moments. Disons que c’est une question d’équilibre : à l’inverse, la prétention purement psychologisante d’un roman bourgeois que j’ai lu il y a peu, Call Me By Your Name d’André Aciman, m’a inversement irrité. Outre que c’est situé dans un univers parallèle où tout le monde est blanc, riche et d’une culture classique aussi éblouissante qu’exclusive, chaque petit doute du gamin est détaillé et décortiqué sur au moins trois ou quatre pages, tandis que leur nuit d’amour en fait à peine deux (et provient visiblement d’un hétéro qui ne s’est pas interrogé sur la physicalité de l’amour gay). J’ai trouvé ce roman-là outrageusement précieux, il m’est tombé des mains avant la fin du volume.

À mon goût, point trop n’en faut, quoi, ni dans l’absence complète de psychologie, ni dans la surabondance maniaque de minutieux mouvements d’âme. En fait, formé à la littérature populaire et en faisant l’essentiel de ma diète livresque, je reconnais que je suis sans doute plus aisément « client » de l’aventure pure que des dentelles émotionnelles ; quoique j’ai tendance à équilibrer mes lectures pour éviter les effets de lassitude :  récemment, un Haruki Murakami puis les « Toto Fouinard » de Jules Lermina, suivis d’un Modiano et du Judex d’Arthur Bernède, par exemple… et d’autres nuances : un recueil de nouvelles psychogéographiques par Michel Suffran (Villesonge) et un best-seller américain mêlant SF et fantasy dans un ton que perso je juge un poil trop « young adult » / commercialement calibré pour totalement me convaincre (All the Birds in the Sky, Charlie Jane Anders, pas encore fini).

Le même camarade me faisait le reproche de trop souvent, selon lui, opposer des genres, d’avoir face à mes préférences des « détestations » inverses. J’ai donc songé à sa remarque en relisant le premier Jasper Fforde, The Eyre Affair : de mes lectures des Brontë, Wuthering et Eyre, je conserve certes un souvenir agréable, mais relativisé par un grand romantisme et des éléments gothiques qui n’emportaient pas entièrement mon adhésion — et binaire que je suis, je ne puis m’empêcher de les comparer aux œuvres de Jane Austen, qui à chaque relecture m’emportent vraiment, pleinement. Mais comparer, opposer, soupeser, n’est-ce pas un outil habituel du goût ?

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