#6103

Sable et eau grésillent sur les vasistas, seul bruit dans la maison grise et silencieuse où les lampes ne forment que des îlots ponctuels de lumière jaune. Un grondement monte brièvement, celui du passage d’un train. Il ne fera peut-être pas jour aujourd’hui. Les escargots mêmes en profitent-ils après le froid de ces dernières journées ?

#6102

De curieux fruits poussent dans le tout neuf quartier d’à côté, sorte de grise et haute dystopie urbaine que ne dépareillent pas ces baies toxiques. Dimanche en dépit de mon problème au talon, et au défi de la tempête qui continuait à souffler et grommeler, une copine me persuada de mettre le nez dehors pour une petite exploration de cette zone moche, avec d’abord une grimpée jusqu’à un « rooftop » venteux et pisciné pour instagrameurs, puis jusqu’au nouveau pont, un tronçon d’autoroute posé en travers du fleuve. Cupidité immobilière et médiocrité architecturale se donnent la main pour hâter ces lieux et la crise les obligent à ne pouvoir finir certaines de ces sottes bâtisses, qui tendent leur ferraille au-dessus de murs en parpaings comme dans un paysage sicilien.

#6099

Ce matin, comme je partais faire des courses en ville avant de passer à la librairie du Basilic, j’ai échangé quelques mots avec l’homme que je surnomme Laurel. Son Hardy est mort depuis déjà un moment, et du vivant de ce dernier il ne disait presque rien, laissant l’autre baragouiner jovialement dans un sabir d’espagnol et de français. Laurel est un tout petit homme au nez pointu et aux beaux yeux marron sous sa casquette grise. Me voyant arriver à l’arrêt de bus c’est ainsi qu’il m’interpella, s’amusant d’une voix douce de notre supposée ressemblance : casquette et canne. Nous échangeâmes comme il se doit sur le temps, frais mais clair, de ce bleu et doré qui dit l’hiver. Puis de m’expliquer, de son souffle modeste, « Je sais pas quoi faire d’ma peau alors je vais aller boire un café aux Capucins ». Ne pas savoir quoi faire de sa peau : le petit homme sillonne sans relâche ces quartiers sud de Bordeaux, le pas lent, la canne tranquille, sans autre but que d’occuper le vide de cette existence. Les ginkgos se couvrent d’or et les érables d’écarlate, Laurel marche toujours, sans Hardy, simple figurant des rues.

#6097

Semaines crépusculaires où le jour ne se lève guère et où je reviens de nuit de la librairie, comme hier soir avec cette brume bleutée qui lançait des lambeaux depuis la voie ferrée et que les feux rouges me piquaient les yeux. Le ciel dominical vient de se dégager ce matin, j’ai donc circulé en boitillant entre les stands de la brocante – sous la flèche de saint Michel toujours emmaillotée, une pile de « nature writing » des années cinquante, un vendeur désignant « une boîte à onguent de chaman, Bornéo Sumatra », une bourgeoise à brushing feuilletant une pile de tomes d’Adolphe Thiers, un vieil arabe dépliant des tapis, des grappes de moineaux dans un arbuste dénudé, et un joueur de saxo sous la halle…