#2475

Ce matin j’ai rêvé d’une grande ville à la campagne, le souvenir s’estompe déjà mais m’en demeurent quelques impressions entre Londres et Lisbonne… Je ne sais pourquoi je pense tant à cette dernière, ces jours-ci, si ce n’est qu’il s’agit d’un de mes coups de cœurs, un des voyages que j’ai préféré. Qu’est-ce qui fait que j’ai tant aimé Lisbonne, San Francisco, Édimbourg ou Venise et que j’ai moins eu de feeling pour Amsterdam, Florence, Vienne ou Barcelone? Mystérieuse alchimie des villes.

Je crois que si j’avais de l’argent, je voyagerai pas mal. En l’état, eh bien, au moins puis-je me réjouir à la perspective d’un petit tour à Bruxelles en mars prochain (pour la foire du livre) et, plus encore, d’une semaine à Londres réservée en compagnie d’une amie chère pour début avril. Je note déjà des expo qu’il faudrait que l’on aille voir – Tove Jansson au South Bank, l’art queer à la Tate Britain, le nouveau musée du design…

Mais les façades multicolores de Lisbonne hantent étrangement mon paysage mental en ce dernier matin de l’année.

#2474

C’était bien la petite fête d’hier soir chez moi. Bon, il y a eu quelques épisodes un peu curieux, en particulier de trouver dans un coin, après le départ de tout le monde, une bougie « Nuit érotique » (c’est marqué dessus). Mais sinon, on a notamment bu du champagne en levant nos coupes pour célébrer la mort annoncée de la spoliation ReLire, en l’honneur de Yal et Sara.

#2467

On apprend ce matin que le maire d’Angers a fait retirer toutes les affiches de la campagne sur la prévention du ministère de la Santé, ces sobres et belles images d’hommes en couple, qui font rugir les homophobes. Comme toujours, ces fâcheux invoquent une hypocrite protection de l’enfance pour justifier leur censure : « C’est centré sur un type de sexualité. Une telle campagne dans des magazines pour adultes ne me choquerait pas. Mais sur des panneaux devant des écoles primaires, oui », prétend le maire, tandis qu’un ancien porte-parole de la Manif pour tous parle de : « pubs infligées aux enfants. » Ah oui, c’est que chez ces gens-là, on ne pense pas, Monsieur, on ne pense pas, on prie. On ne veut pas les voir, ces vilains pédés, oh non, quelle horreur, pas de ça sur nos murs : ni égalité entre les citoyens ni réalité de la vie, oh non, cachons ce que l’on ne veut pas voir. Laissons-les dans des ghettos, la voie publique, la voix publique, n’est pas pour eux, bien entendu. Et les enfants alors ? Ah oui, toujours ce bon vieil amalgame de l’homosexualité avec la pédophilie, tandis que cette Église qu’ils aiment tant peut bien toucher petites filles et petits garçons. Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là on n´vit pas, Monsieur, on n´vit pas, on triche.

Eh bien figurez-vous que moi, j’aurai bien aimé que l’on m’en inflige, des publicités comme celles-ci, lorsque j’étais ado. Parce que lorsque j’étais ado, dans les années 1970, le terme même d’homosexuel ne m’était pas accessible, et les garçons comme moi, les filles aussi bien sûr, devaient chacun chercher son chemin seul, tellement seul, parce que l’unique chose que nous savions, chacun, c’est que les autres n’étaient pas comme nous. Je me souviens encore d’un jour où, rentrant de classe, je vis s’éloigner la fille que tout le monde trouvait super jolie, et de me demander pourquoi je devrais la trouver jolie, pourquoi je devrais avoir du désir pour elle alors que je n’en ressentais aucun, et de me dire que seul son côté un peu garçon manqué me plaisait chez elle. Je me souviens encore du jour où, devant rapporter je ne sais quoi à cette fille, la porte me fut ouverte par son frère, cette sorte de révélation : il était aussi joli que sa sœur, mais tellement plus joli justement, puisqu’il s’agissait d’un garçon. Je me souviens encore des manuels d’éducation sexuelle à la bibliothèque, qui n’expliquaient rien, qui ne disaient rien qui me concerne, ou alors seulement pour me vilipender. Oui, j’aurai bien aimé en voir, des publicités comme celles de cette campagne, devant mon école. Parce que durant toute mon éducation on m’a opprimé, menti, nié, centrant tout sur un type de sexualité, comme dit l’autre, me laissant seul pour comprendre et faire mon chemin malgré le manque de repères.

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#2464

Une raison de plus d’avoir envie de retourner à Londres au printemps prochain : à la fin de ce mois, le Design Museum rouvre dans de grands locaux, après tant d’années à s’être tenu serré dans l’ancien entrepôt à bananes des bords de la Tamise. Depuis le temps qu’ils espéraient un tel déménagement, cela fait réellement plaisir. En dépit de sa qualité, ce musée n’a jamais profité de fonds publics. J’ai hâte de le redécouvrir, et de voir enfin toute sa collection permanente — je note d’ailleurs une erreur dans un récent papier du Guardian, qui affirme que la collection permanente n’a jamais été exposée. Le journaleux doit être très jeune, car moi je me souviens fort bien qu’elle l’était, exposée, aux tous débuts du Design Museum. Sylvie t’en souviens-tu? Nous l’avions visité ensemble, la première fois. Il y avait une DS près de la baie vitrée et un petit logiciel où nous nous étions amusés à designer une brosse à dents. Mais allez, je dois bien admettre que je le regretterai, ce petit bâtiment blanc du bout des quais, tant j’y ai de très, très nombreux souvenirs (ah l’expo sur l’aluminium, Olivier). Londres ne cesse de changer.

#2462

Comme bien souvent, des envies de Londres me taraudent, que je ne saurai hélas concrétiser de sitôt. Et relisant avec délice le premier polar de Dorothy L. Sayers, Whose Body?, il me revient en mémoire une journée de décembre 2011 où alors que je m’étais lancé à la recherche des différents logis de James Bond et d’Agatha Christie dans Londres, j’avais traversé la Tamise afin de me rendre dans Battersea, sur une impulsion, vaguement sur la trace de cette première enquête de Lord Peter Wimsey. Je me souviens en particulier d’avoir eu la témérité de vouloir traverser Battersea Park. Si l’environnement urbain est dur — pierre, béton, brique, macadam — que dire de la nature? Sitôt entré dans le parc, je réalisai que la température venait de chuter de plusieurs degrés. Et alors que j’avançai sur un chemin, le froid monta brutalement dans mes jambes, me pénétrant jusqu’aux os. Les ombres s’étiraient en lames bleutées et le sol se barbouillait de boue. Impossible de tenir : je regagnai précipitamment le bord du parc et le trottoir extérieur, avant que de virer à un beau bleu schtroumpf. Tout de suite, la température redevint supportable. Il fit particulièrement beau, ce jour-là, je conserve le souvenir de cette lumière tendre et fragile sur Chelsea, glaciale et coupante sur Battersea, puis de nouveau chaude et rasante sur Pimlico.

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