#2876

Pourquoi le sentiment s’est-il ancré en moi de bonne heure que, si le voyage seul – le voyage sans idée de retour – ouvre pour nous les portes et peut changer vraiment notre vie, un sortilège plus caché, qui s’apparente au maniement de la baguette de sourcier, se lie à la promenade entre toutes préférée, à l’excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d’attache, à la clôture de la maison familière ?

(Julien Gracq, Les Eaux étroites)

#2875

Ce doit bien être la troisième fois que je lis le Paris insolite de Clébert, saisi de nouveau par ces chocs géographiques et sociaux, ce quotidien si exotique et si familier, ces surprises temporelles, terrains vagues et venelles, bistrots et charrettes, taudis et « verdure maigre ». La deuxième fois devait être au moment où mon camarade Mare bouclait son beau Paris, une physionomie, et je le redécouvre encore, devant sans doute louer mon exécrable mémoire pour la fraîcheur avec laquelle je replonge en ces pages – mais aussi grâce à cette splendide édition Attila, illustrée de photos prises à l’époque en compagnie de l’auteur. Et cette nouvelle plongée dans le Paris populaire du tout début des années cinquante me fait repenser à un autre ouvrage des Moutons électriques, bien maltraité par le diffuseur : les Nombreuses vies de Nestor Burma de Jacques Baudou, ce portrait saisissant lui aussi d’un Paris disparu, sur lequel j’avais eu tant de plaisir à travailler avec un oncle photographe.

#2873

Je relis. De la poésie, urbaine, plutôt en prose. Tout Jacques Réda, lentement, depuis un mois ou deux, et la belle édition réalisée il y a 10 ans chez Attila des errances parisiennes de Jean-Paul Clébert au tout début des années cinquante, presque en terre étrangère tant le temps a passé. Images et atmosphères, « donner à voir », de quoi se nourrir tandis que se décroche la pluie d’un ciel laiteux et que chaque promenade, comme celle que je viens d’effectuer par la pittoresque rue Malbec, s’accompagne des piqûres aigres de la bruine.

#2868

Un détail et je réalise qu’il s’agit bien du passé : un train passe et l’on évoque son panache blanc ; un voyage en voiture et l’on se serre les couvertures sur les jambes… J’ai replongé ces dernières semaines dans un de mes (nombreux) péchés mignons, le polar anglais golden age. Après le délicieux vintage fifties des sœurs Bodin (les sept romans de Jean-Pierre Ferriere que je vais rééditer en deux gros volumes au Rayon Vert), je suis donc de retour à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, dans le quotidien britannique, après avoir passé pas mal d’années un peu éloigné de ces fictions si british (trois ans que j’avais acheté les George Bellairs par exemple). Doux retour.