#2257

Faut que j’vous dise. J’évoque fréquemment, et à fin d’aide-mémoire, mes lectures, mais il y en a dont je ne parle pas, ou guère : celles que j’effectue en tant qu’éditeur. Pourtant, bien sûr, je lis également beaucoup dans ce cadre-là. Mais c’est une autre forme de lecture, et j’hésite toujours à m’étaler sur mes coups de cœur et travaux éditoriaux. Ainsi n’ai-je pas exprimé ici le plaisir réjoui que j’ai eu en lisant le recueil où Jaworski revient enfin au Vieux Royaume, Le Sentiment du fer. Ou l’espèce de saisissement admiratif, comme un long souffle, éprouvé en lisant Chasse royale du même. Ou bien encore l’excitation de dévorer en une semaine Véridienne de Chloé Chevalier, un début de série fantasy « dynastique » que l’on sort fin août. Mais cette fois, j’ai bien envie de vous parler plus en détails d’un manuscrit qui m’a renversé: La Fenêtre de Diane de Dominique Douay. Un inédit qu’il vient juste de finir, dont j’avais lu un petit tiers donc je savais que ça allait être splendide, mais là… Oh, bonheur. Un grand roman, tout simplement (ça sort en septembre).

Car je ne suis pas allé à Angers: la gabegie ferroviaire a eu raison de mon courage, trop c’est trop. Alors hier j’avais un peu le cœur lourd — et la tête plus encore, rapport à une grosse crise de rhume des foins, comme écrirait un gendarme. La faute sans doute aux marronniers du petit jardin Bertrand de Goth. Enfin bref, j’ai donc passé ma journée assis sur la terrasse, j’en ai même bronzé, luttant contre la migraine, les éternuements et les yeux brouillés, mais plongé dans, subjugué par, rivé à,  « La Fenêtre de Diane » que j’avais transféré dans la liseuse. Lire un roman entier, de bonne taille, en une seule journée, n’est pas expérience si fréquente. Et c’est du grand Douay, de la grande SF: visionnaire comme un Robert Charles Wilson (pour l’ampleur cosmologique), intime comme un Patrick Modiano (troubles des souvenirs et travail sur le témoignage), hanté par Philip K. Dick (et sa disparition), riche de tranches autobiographiques (un peu truquées, forcément)… Ah quel roman. Bon sang de bois, si celui-là n’est pas nominé à plusieurs prix c’est à n’y plus rien comprendre, moi j’vous dis.

Et puis sinon? Continué à tracer ma route dans les Maigret, lu aussi un Modiano, justement, L’Herbe des nuits, dans un même mouvement car il y a bien des points communs entre ces « romans gris », le mystère des gens, l’observation, la mémoire, l’enquête, un peu de tristesse, beaucoup de Paris…

#2255

De temps en temps, je lis un Maigret de Simenon, avec chaque fois la même admiration. En deux ou trois heures c’est lu, c’est court, concentré, d’une atmosphère épatante et d’une attention à l’humain proprement admirable, les dialogues sonnent juste, les descriptions aussi, et l’aspect « rétro » ajoute encore au charme. On touche à la perfection. Lu hier soir Maigret voyage, écrit en 1957.

Qu’ai-je lu d’autre ces temps derniers? Peu de choses finalement, entre fatigue et gros boulot. Hôtel Olympia d’Elisabeth Vonarburg, auteur que je tiens pour l’une des plumes majeures de l’imaginaire en francophonie. Las, je fus un peu déçu, cependant. La première moitié est séduisante à souhait, emplie de mystères, de troubles, de tension, d’onirisme… Et puis arrive le chapitre dans la bibliothèque, où les personnages s’expliquent tout les uns aux autres, à la Ayerdhal, et c’est une méthode narrative qui tend à me faire décrocher — j’avais subi un tel décrochement à un endroit de Transparence, par exemple, affaire de goût. J’ai repris bien sûr, mais la deuxième moitié m’a moins séduit, on en savait déjà trop et ce fut un brin trop long, à mon goût.

Relu Le Navire des glaces de Michael Moorcock, que j’avais lu étant jeune. Splendide, du post-apo puissant et prenant, vraiment remarquable.

Sinon, toujours le même plaisir de lire un Bryant & May de Christopher Fowler, le dernier en date étant The Burning Man, que je pense finir ce soir. Et j’avance lentement dans une relecture du Earthsea Quartet d’Ursula Le Guin, Terremer quoi, je l’avoue un peu trop austère et leçon-de-sagesse à mon goût pour le moment…

#2253

Avant-hier soir j’ai lu un roman d’horreur. J’en ai été tellement choqué qu’il m’a fallu tout ce délai pour parvenir à vous en parler. J’en frémis encore. Rien que le titre, déjà : Le devoir joyeux ! C’est une réédition des années 1960 d’un des romans de la série « Brigitte » par la terrifiante Berthe Bernage, qui dans les années 1930 en aligna comme ça plus d’une vingtaine apparemment. J’avais vu il y a quelques années une collection chez un bouquiniste lyonnais, avais feuilleté cela médusé, des sortes de « Bibliothèque rose » pour adultes, mais du style à faire passer Enid Blyton pour une gauchiste. C’est simple, rien qu’à lire les premières pages, c’est tellement sucré que j’ai eu l’impression de sentir les caries se former. Pétri de « bons sentiments », du genre de ceux qui animent les gentils petits couples homophobes de la Manif pour tous. Catho tradi, femme au foyer, doux enfants, famille, patrie… ahurissant, du concentré de Pétain et du Fig-Mag, de la littérature pour enfants de (Jean-) Marie et autres « Printemps français ». Traumatisant.

Post-scriptum : non je ne l’ai pas payé, trouvé dans une « boîte à lire ». Mais apparemment des gens continuent à rééditer ça.

Bernage001

#2551

Eh bien, j’ai encore lu un bien mauvais roman. C’est de ma faute : le principe du polar régionaliste me séduit assez et j’étais donc curieux d’en lire un se passant à Chinon (la petite ville tourangelle d’où vient ma famille). Las, si le style était fort correct, les constructions adroites et les phrases plutôt soutenues, et que l’intrigue se tient bien, la psychologie est élémentaire, l’atmosphère absente et la construction fait téléfilm. Quant aux descriptions, zéro, seule ma connaissance des lieux me permettait de « voir ». Bref, niveau manuscrit que je refuserai — un (bon) polar a besoin de corps, de caractère, d’atmosphère…

#2550

Mode « grmbl » on. Mes lectures récentes furent fort insatisfaisantes.

Le roman finlandais traduit en américain, The Rabbit Back Litterature Society de Pasi Ilmari Jääskeläinen, c’est finalement révélé long et filandreux pour pas grand-chose, l’auteur passant selon moi quasiment à coté de son sujet (une belle intrigue de fantasy) pour se perdre dans de oiseuses et idéalistes considérations sur l’écrivain et son inspiration, c’est ridicule et prétentieux, typiquement de la fantasy version « mémés qui ne lisent que de la blanche », quelle misère…

The Eterna Files de Leanna Renee Hieber, steapunk a priori sympa mais le bouquin ne semble pas réellement fini, c’est trop court, tout est précipité/concentré exagérément, les ellipses sont brutales et mal conduites, quelle misère…

A Darker Shade of Magic de VE Schwab, au blurb laudateur de Delia Sherman sur la foi de laquelle je l’ai acheté (et sur la couverture superbe, aussi), est terriblement sans goût ni coisse (expression tourangelle), du sous-Moorcock sans zeste, sans style, aux personnages immatures et dénués d’épaisseur (on voit que l’auteur vient du young adult bien commercial), l’univers présenté pourrait avoir la richesse d’un Zelazny (échos d’Ambre) mais non, c’est plat au possible, quelle misère…

Et puis le pastiche de Holmes et Watson situé en 1420 par Jean d’Aillon, chez 10/18, alors? Lamentable: les personnages ne conservent que le patronyme de leur inspiration, ils ne possèdent absolument rien de la psychologie des originaux donc quel intérêt? Et l’écriture me semble très contestable: de la documentation historique fourrée grossièrement à chaque paragraphe, des notes de bas de page historiques pour en rajouter encore, des descriptions pesantes, des apartés historiques qui soulignent seulement le côté mal fichu de la mise en contexte, une foultitude de salauds sanguinaires qui encombrent les pages sous prétexte qu’ils sont royalement historiques, ah et vous ai-je dit que c’est du polar historique, enfin, moins polar qu’historique? Quelle misère…

Ensuite j’ai mis le nez dans une fantasy française que je ne citerai pas, pleine de fautes de grammaire et de verbes « être » à chaque ligne, quelle misère…

Et pour finir dans les calamités, le Spirou « one shot » nouveau, dessin plat, scénario plat, couleurs moches, persos grossièrement hétéros, une seule planche m’a réellement fait rire, les scénaristes s’imaginent qu’en gavant leur intrigue zigzagante de citations franquinesques ils font une bonne histoire? Ben non, quelle misère…

Bref je suis un tantinet de mauvais poil. Heureusement qu’entre chaque (mauvais) roman je continue à savourer des nouvelles de Sylvia Townsend Warner, si belles, si calmes, cette grâce modeste, cette délicatesse presque intangible, c’est du bonheur.