Vu Christopher and His Kind, très beau téléfilm récent de la BBC, adapté d’une autobio de Christopher Isherwood, avec Matt Smith dans son rôle. Ils sont trop forts, ces Anglais — un téléfilm totalement pédé (!) et formidablement touchant. Isherwood demeure mon écrivain favori. Vraiment, profondément. J’ai lu quantité de fois A Single Man (il faut d’ailleurs que je revois la très belle adaptation avec Colin Firth) et les Berlin Stories, et deux fois la plupart des autres — il n’y a je crois que son livre sur ses parents, que je n’ai bizarrement toujours pas lu. Isherwood ne cesse de me parler, de me bouleverser, de me fasciner. Au point que j’ai également lu, énormément, sur et par ses amis: Auden, Day Lewis, Spender, Upward, MacNeice… et sur leur époque. Après avoir regardé Christopher and His Kind, j’ai regardé un entretien avec Isherwood datant de novembre 1969 (Christopher Isherwood, a Born Foreigner), diffusé à l’époque sur la BBC. Et voir Christopher Isherwood, en vrai — comment dire? C’est pour moi une expérience tellement étrange, tellement bouleversante… L’entendre parler (et je comprends pourquoi Matt Smith s’est efforcé de parler ainsi du nez: Isherwood avait une voix nasillarde), le voir bouger, rire, conduire sa voiture… Quelle expérience troublante! J’ai vu plusieurs fois Stephen Spender (je me souviens même l’avoir vu en direct à la télé, dans « Apostrophes »), j’ai regardé il n’y a pas longtemps un documentaire sur Auden, mais là… Isherwood, quoi. Mon auteur culte à moi que j’ai. Émotion.
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#2014
Fini de traduire Psychogeography. Reste des ajouts à effectuer, dont un dernier chapitre parisien. Reste le ballet des retouches et des vérifications. Mais le gros du chantier est évacué, soulagement. Suis sorti pour fêter cela, faire quelques courses dans mon supermarché levantin favori. Je vois s’allonger les ombres, très nettes, découpées au rasoir du soleil bas sous le ciel d’un bleu fragile, bousculé de nuages. Une menace de pluie ourle de grisaille le bord de ces derniers, avec pour seul effet la fraîcheur du fond de l’air, « comme on dit ». Il doit être d’un bleu profond, outre-marine, ce fond de l’air. Afin que la lumière éblouisse mieux, à cette saison. Le quotidien ordinaire et toute propre, nettoyé par un soleil encore hivernal malgré sa douceur, se trouble soudain: deux événements entrent en collision avec le réel. D’une part une camionnette aux couleurs fanées, qui dans la rue crache les flonflons étouffés d’une musique de cirque, Pinder est là qui passe, enroué. D’autre part un jeune homme torse nu, qui fonce sur le trottoir dans le roulroulroul de son skateboard, poitrine large et bronzée, sur laquelle se détachent les auréoles pâles de ses seins. Je rentre, la lumière coule à flot dans le salon, j’ouvre la fenêtre — frisson soudain, une grande ombre: à bout de flèche de grue, la bétonnière intercepte le soleil avec ses flancs rebondis. Elle glisse latéralement, je suis de nouveau ébloui, cligne des yeux pour remettre le monde en ordre.
#2013
Il y a quelques années, j’avais lors d’un voyage à Londres ressenti un véritablement choc ontologique. Le vertige absolu: la réalité avait changé de nature. J’ai de nouveau ressenti une telle émotion hier, alors que je fouillais sur le web à la recherche de certains clichés londoniens.
Mon premier choc ç’avait été, me tenant sur le Millenium Bridge, de me retourner vers la City et d’y voir s’ériger, soudain, une tour surnuméraire: le Gherkin de Norman Foster. Je savais qu’on devait la construire, mais de la voir, là, en vrai, soudain — vertige. La réalité ne correspondait plus du tout à l’image mentale que j’en avais. Cette tour étrangement oblongue que je n’avais vu qu’en modélisation 3D, elle s’érigeait là, immense, énorme — car en plus, les courbes du Gherkin provoquent un étonnant effet d’optique, qui donne l’impression que la tour est bien plus imposante de loin qu’elle ne l’est en réalité de près. Sidération: avec cette tour, c’était le futur qui avait remplacé le présent.
Même choc hier, en découvrant un panorama à 360° de Londres où s’érigeait un élément monstrueux, impossible, immense: une tour sur la rive sud. Je mis un instant à la reconnaître — c’était The Shard, mais en construction. Ainsi donc, on bâtissait réellement cette tour géante? J’allais faire un tour sur Google Earth, et oui, j’y trouvais plein de photos du monstre à différentes étapes de son élévation. Sidération: The Shard, c’est plus que jamais le futurisme, l’intrusion d’une vision SF dans le réel. Vertigineux.
#2012
Wow. Il fait beau. Ça sent le printemps. Bonheur ! Dès qu’il fait bon et qu’il y a du vent, avec un complet ciel bleu, j’ai tendance à penser à la mer… Et avec les claquements du drapeau en haut de la grue, la synesthésie est encore plus prégnante. Manque le bruit des vagues…
Je m’éclate vraiment à travailler sur Psychogéographie !, mais suis juste un brin agacé d’être en retard sur plusieurs choses, et trop souvent fatigué le soir. Encore trop occupé, quoi. Limite burn out, même que. Sortie de l’hiver + beaucoup de boulot, c’est rude. Du coup, la tête pleine de textes, je n’arrive plus à lire de romans. Je dévore des tonnes de comic books, à la place. Ça me change de rythme et d’univers, j’aime. Ainsi me suis-je enquillé coup sur coup l’intégrale des Starman, des Sandman (et dérivés), des Sandman Mystery Theatre, une portion des Nexus, les Freakangels, là je me refais les Fables, avant sans doute de continuer les Lucifer…
#2011
Vu hier soir Le Château des cœurs de Flaubert, sa pièce quasiment jamais jouée. C’est à l’ENS Lyon, pour trois soirs, et c’est incroyablement gonflé, mégalo, drôle et décalé. Texte injouable tellement il est long, impossible à mettre en scène tellement ses didascalies proposent d’éléments irréalistes, il s’agit d’une « féerie », genre en vogue lorsque Flaubert s’en enticha et décida d’en écrire une. Le tout sonnait hier soir un peu comme du Flaubert monté par les Robin des Bois, maladresses voulues et maladresses inopinée pareillement assumées, le tout plein d’imagination, de trouvailles astucieuses, et d’ambitions étonnantes (les chants, la musique…). Et puis, avec de vrais passages flaubertiens comme on les aime: des râleries et des railleries de ce cher Gustave, impertinent, anti-conformiste, de nos jours on dirait « non politiquement correct ». Je redoutais de m’ennuyer et me suis en définitive bien amusé.
Les Moutons électriques envisageaient fut un temps d’en publier une édition commentée ; notre cher Patrice avait même essayé de nous persuader de le faire mettre en scène. Voir donc Le Château des cœurs en vrai fut une réelle joie.