Ce matin, comme je partais faire des courses en ville avant de passer à la librairie du Basilic, j’ai échangé quelques mots avec l’homme que je surnomme Laurel. Son Hardy est mort depuis déjà un moment, et du vivant de ce dernier il ne disait presque rien, laissant l’autre baragouiner jovialement dans un sabir d’espagnol et de français. Laurel est un tout petit homme au nez pointu et aux beaux yeux marron sous sa casquette grise. Me voyant arriver à l’arrêt de bus c’est ainsi qu’il m’interpella, s’amusant d’une voix douce de notre supposée ressemblance : casquette et canne. Nous échangeâmes comme il se doit sur le temps, frais mais clair, de ce bleu et doré qui dit l’hiver. Puis de m’expliquer, de son souffle modeste, « Je sais pas quoi faire d’ma peau alors je vais aller boire un café aux Capucins ». Ne pas savoir quoi faire de sa peau : le petit homme sillonne sans relâche ces quartiers sud de Bordeaux, le pas lent, la canne tranquille, sans autre but que d’occuper le vide de cette existence. Les ginkgos se couvrent d’or et les érables d’écarlate, Laurel marche toujours, sans Hardy, simple figurant des rues.
Archives mensuelles : novembre 2024
#6098
Oscillant ces temps derniers entre des romans de Murakami et de Jonathan Coe, je suis fasciné non seulement par la fluidité captivante de leur prose, leur beauté, leur humour, leur dureté également — là où deux séries de « cosy fantasy » lues récemment aussi, pour sympathiques qu’elles soient, frappent tant par le convenu de leur écriture que j’ai cru lire de la fantasy des années 80 genre Barbara Hambly, alors que ça vient juste de paraître — mais en fait… par leur voix. Si différentes, singulières et reconnaissables. Des intimes de ces auteurs entendent-ils le son de leur voix lorsqu’ils les lisent, en reconnaissent-ils le timbre ?
(La photo est celle d’un téléphone de Pierre Véry, que possède mon ami et éditeur Christian Robin)
#6097
Semaines crépusculaires où le jour ne se lève guère et où je reviens de nuit de la librairie, comme hier soir avec cette brume bleutée qui lançait des lambeaux depuis la voie ferrée et que les feux rouges me piquaient les yeux. Le ciel dominical vient de se dégager ce matin, j’ai donc circulé en boitillant entre les stands de la brocante – sous la flèche de saint Michel toujours emmaillotée, une pile de « nature writing » des années cinquante, un vendeur désignant « une boîte à onguent de chaman, Bornéo Sumatra », une bourgeoise à brushing feuilletant une pile de tomes d’Adolphe Thiers, un vieil arabe dépliant des tapis, des grappes de moineaux dans un arbuste dénudé, et un joueur de saxo sous la halle…