#4067

« Le monde est soumis (…) aux grandes joies et aux déceptions non moins importantes de la curiosité. » (Pierre Mac Orlan)

Marcher dans la ville au soir tombé est une aventure, d’autant lorsqu’ayant un peu hâtivement conclu que l’on est rétabli, on a déjà beaucoup marché dans la journée. S’asseoir dans un nouveau bar est un soulagement et un plaisir, j’aime retrouver des amis dans des bistrots en soirée. Mais hélas, le vertige à nouveau et devoir rentrer trop tôt, étourdi par les bruits, les lumières, et encore dehors la chaussée vernie, les reflets des éclairages, les phares, les vélos, trop de tumulte pour une tête qui bascule un peu, donnant une légère teinte psychédélique au voyage retour. Le corps électrifié, lire jusqu’à tard dans la nuit, tendu et fourbu, les yeux qui piquent mais la cervelle si éveillée qu’au sortir de la douche il faille se précipiter pour prendre note dans l’urgence de deux scènes qui viennent de s’imposer.

#4066

Un matin gris sur lequel la pluie déverse sa chanson limpide et molle. Peu de pas troublent les pavés luisants, et même les lointains les plus proches paraissent couverts d’une humide poussière.

« Il fit donc comme il en avait l’habitude : flâner, « respirer » l’atmosphère, tenter en quelque sorte d’absorber par ses pores ce que son cerveau n’analysait pas encore. »

#4065

Mais si : documentation. Oh certes j’utilise ce terme en clin d’œil à notre regretté Joseph, mais c’est réel. Il faut vous dire que depuis le début de la pandémie, je lis, en dehors des manuscrits ovins et de mon régime de bédé, je lis essentiellement de mon point de vue d’écrivain. Je veux dire : je suis revenu à une cure de français parce que je faisais des anglicismes, pensais même trop souvent en anglais, il convenait de remédier à cela ; foin donc de mes habituelles lectures en VO, j’ai lu Proust et Loti, Modiano et Le Guillou, Sagan, Ohl, Aymé, Giono, Perret, Samain, Karr, Owen, Carco, Salmon, Jaccottet, Simenon, Maupassant, qui sais-je encore ? Et du polar fifties car il me semble qu’à partir des années soixante la langue a changé, s’éloignant de ce lyrisme classique que je préfère : alors des auteurs oubliés du Masque, du Fleuve ou de Fayard… A la recherche de la musique du français, mais aussi des ambiances, des tournures, quelques détails narratifs, tout pour alimenter la petite machine à imaginer une uchronie. Et en dépit des soucis de santé, s’accrocher, se pousser à écrire, devenir un peu obsessionnel au point que la nuit parfois je profite d’une insomnie pour écrire une scène, ou juste un paragraphe, qui serviront plus tard, portés sur le carnet virtuel du téléphone. Quatre volumes parus, trois autres déjà écrits, et un plus gros roman qui me tourne en tête, se construisant en dépit des doutes.

#4064

Dans le ciel lumineux du début de journée, la musique joyeuse et dissonante des vols de grues en migration m’appela au dehors. Comment rester enfermé par un jour férié aussi beau, qui claironne et cancane ? J’ai donc été un peu marcher dans la ville, mon unique sport, à admirer l’architecture des façades et passer de petits parcs en jardins. Est-ce ma faute si, ce faisant, mon chemin croisa quelques boîtes à livres et même un bouquiniste ? On est bien peu de chose, chacun sa croix et je rapportai trois bouquins, allez. Documentation, documentation.

#4063

Je devrais sortir plus souvent en fin de journée, afin de saisir le ciel, m’ébahir des nuages, bailler aux nuées. Curieux comme 58 ans après ma naissance, les formations nuageuses continuent à toujours me surprendre. L’immense couvercle en forme de planche de surf qui, bordée de soleil, refermait le ciel au-dessus du quartier ce soir, la dentelle rougeoyante à l’autre bout, une brume orange au fond des voies ferrées, une fumée lumineuse montant au-dessus de la caserne, un mur bleu-gris vers la gare que perçait la clarté des grues… que de spectacles aux quatre vents. Mieux vaut lever le nez un moment que de se laisser stresser par le boulot ou écraser par la fatigue.