#2959

Somnolé trois heures cette nuit, lu du Murakami ; beaucoup pensé à Joseph, surtout. Et c’est fou comme mes souvenirs de lui sont majoritairement des rires, des plaisanteries, une camaraderie amusée. Non que les conversations sérieuses aient manqué, bien sûr, je me souviens d’une fois où je dormais chez lui, enfin, chez ses vieux parents dont il avait phagocyté les deux étages supérieurs du petit pavillon, pas loin de la gare d’Ermont-Eaubonne ; et son enthousiasme parce qu’il venait de mener des recherches sur un merveilleux illustrateur, Henri Lanos. Lors d’un autre séjour, nos discussions autour de la SF Encyclopedia de Clute & Nicholls qui venait de paraître en massive nouvelle édition. Mais ce ne sont pas tant ces échanges-là que je garde en mémoire que tous ces rires. Lors d’une « microcon » chez Roland & Cathy. Lors des « bradocon », les premières années  chez Philippe Caille et ensuite chez les Debaque-Luce, à Villeneuve-d’Ascq puis rue du carton (ah, les loukoums pour Christine) ; Joseph était l’un des deux absolus fidèles de ce rituel des rencontres amicales d’un groupe de chineurs savanturiers forcenés, pour le week-end des braderies de la région lilloise. Sa tête grise dans la foule d’une rue de banlieue du Nord, son exceptionnelle acuité qui faisait qu’entre Fabrice et lui, Samuel et moi pouvions même passer devant, rien à faire, ils trouvaient toujours des trésors qui nous avaient échappé. Les nuits blanches, c’est fou le nombre de nuits blanches que j’ai fait avec lui, chez ses parents, dans son appart du XVIIIe, lors des Bradocons… Les souvenirs se bousculent et je réalise qu’alors que nous n’étions somme toute pas extrêmement proches, il constituaient un repère, un ultra familier de cette famille élargie qu’est le « milieu SF », de ces copains que je retrouvaient avec tant de naturel lors des rencontres de Sèvres, ou pour un repas parisien, sa visite à Lyon une fois, l’étrange convention de Lille diluée dans la Braderie, Joseph et les ventes aux enchères des conventions, la voix de Joseph un peu voilée et teintée d’une pointe méridionale sur les ondes de France Culture (« Mauvais genres »), ses anecdotes sur l’imprimeur vietnamien de la Gare du Nord où il allait imprimer Yellow Submarine (j’y suis allé une fois avec lui)… J’arrête là, je pourrais continuer tellement longtemps ; oui c’est fou tous ces rires et tous ces souvenirs, je me sens submergé. Oncle Joe.

#2958

Un vieux copain est mort la nuit dernière, celui qui pendant une poignée d’années à la fin des années 1990 co-dirigea avec moi le fanzine Yellow Submarine et même, l’imprima, celui que je surnommais alors le Bosco, moi qui étais le Capitaine. Joseph Altairac. Je ne sais même plus quand je l’ai rencontré, ayant l’impression de toujours l’avoir connu, ce cher collectionneur fou, cet érudit incroyable ; à Ermont chez ses vieux parents, ensuite dans son encombré et craquelant petit appartement du XVIIIe, et puis surtout, depuis toujours aussi, lors des rencontres de la Braderie de Lille. Je réalise à peine combien tant de choses ne seront plus jamais pareilles. L’impression d’avoir perdu un repère.

#2956

Plusieurs vols de grues dans le ciel bordelais, hier, en grands V cancanant bruyamment, c’est le chant de la saison. Et si les arbres de mon jardin ne virent pas à la rousseur automnale (le micocoulier perd simplement ses feuilles, le figuier pas encore, les troènes et l’andromède ne changent pas), les fleurs pour leur part sont soudain presque toutes dans des tons de jaune-orange : l’abutilon en cloches toujours abondantes, les quelques pensées dans un bac, les dernières floraisons des courges en corolles fripées, les suzanne aux yeux noirs sur leurs lianes, les capucines sous la houle de leur feuillage en soucoupes.

#2955

Me fascine toujours cette synchronisité subjective qui fait que, lorsque je travaille sur un texte, qu’il s’agissait dans le temps d’un essai ou maintenant d’un roman, la moindre lecture l’alimente, telle saturation stylistique ici, tel rythme là, un point de vue, soudain tout converge, « tout fait ventre » pour mon imaginaire. Il y a deux jours, je commence à lire un roman australien et dois le reposer précipitamment car cette description d’une salle de cuisine, bon sang de bois mais c’est celle que je voulais écrire – vite, poser ce livre et ne surtout pas y penser, afin de ne pas risquer une involontaire inspiration. Et ce soir au contraire, cette scène déjà lue tant de fois chez Elizabeth Goudge et qui, racontée à ma façon et au service de mon récit, développée dans mon propre cadre, oh bon sang oui, pourra former l’amorce de ma deuxième partie. Éponge.