#2540

Il y a déjà longtemps, alors que je me trouvais avec lui dans la maison de son grand-père à Nyons — lieu aimé de plusieurs séjours savoureux —, et parce que je venais de lui dire mon goût pour les vieilles couvertures peintes du Livre de Poche, Ugo Bellagamba passa dans la chambre d’en face et en rapporta une édition de Babbitt de Sinclair Lewis, à l’illustration effectivement très belle. Et il me lu le début du roman — un morceau de prose d’une beauté à tomber. Le reste de ces brèves vacances provençales, je lu ce roman, avec un immense plaisir ; entre la beauté du style, parfaitement rendu dans la VF, et l’humour grinçant du texte, cette ambiance urbaine des années 1920, tout cela m’enchanta. Ce matin à la brocante Saint-Michel, j’en ai acquis une jolie édition hardcover (de 1968, mais illustration de jaquette datant de l’édition de 1952), avec grand plaisir.

C’est amusant : depuis des mois, un vendeur rapporte petit à petit toute une collection anglaise, d’une personne qui visiblement était particulièrement friande de biographies de « gens connus ». Des « célébrités » parfaitement inconnues de moi pour la plupart, stand-up comedians, personnalités des médias des années 1960 ou 70, lords et politiciens… Tout un univers bien britannique, dont j’acquière de temps en temps un élément, telles cette bio d’Edith Wharton, cette autobio de la jeunesse d’Ernest Shepard (l’illustrateur de Winnie l’ourson), ce document sur la fin de vie du duc de Windsor (le roi destitué aux louches amitiés nazillonnes)… ou bien encore Cheaper by the Dozen de Frank B. Gilbreth, alias Treize à la douzaine en VF, que je lu étant enfant sur le conseil de ma mère, tout comme L’œuf et moi ou Des chats dans le beffroi, autant de vieilles comédies qui me faisaient hurler de rire étant môme…

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#2539

Dans mon bout de jardin lavé de frais, la nature s’éveille. Jacinthes et glaïeuls ont poussé leurs lances vertes en petits bouquets pointus, le sol se couvre des feuilles rondes et des minuscules fleurs roses des myosotis, et le camélia porte plus de gros boutons rosés que de feuilles charnues. La marguerite présente une unique fleur blanche.

#2538

Ayant éteint la musique je remarque un murmure, un froissement, c’est la pluie et j’avoue bien aimer l’entendre, le soir, chanter doucement au dehors. Comme une présence pour accompagner la lecture nocturne. Je tend l’oreille, un train passe aussi, sourd grondement, mais l’averse domine, pianotant le verre des vasistas, là-haut, léger, léger.

#2537

Choc et tristesse. Dans une existence antérieure, celle où j’étais vendeur en librairie, j’avais un client de 2 mètres de haut absolument adorable, un grand monsieur dans tous les sens du terme. Je suis devenu ami avec son fils Jérôme, qui demeure l’un de mes proches, sans perdre le père de vue — quand j’habitais Lyon j’avais pour coutume de me rendre chez lui une fois par été, à la campagne du côté de Bourgoin-Jallieu, pour aller me baigner dans sa piscine et pour fouiner dans son extraordinaire collection. Car c’était un collectionneur de presse ancienne, il avait empli son garage et son bureau de tonnes de vieux journaux, ça me fascinait, et j’ai « pillé » plus d’une fois cette prodigieuse manne culturelle pour des volumes de la Bibliothèque rouge. Mine de rien, il avait plus de 80 ans la dernière fois que je l’ai vu, et je savais en quittant Lyon que je ne le verrais plus. N’empêche, aujourd’hui son fils m’annonce qu’il est mort samedi et j’ai beaucoup de peine, je l’aimais vraiment bien, monsieur Gilbert Maurice.

#2536

Cela fait trente ans que je lis et que je relis le récit de leurs existences, au point de les connaître comme s’il s’agissait d’amis, des amis que j’ai rencontré puisque je connais même leur visage (par la belle série qui en fut adaptée) et que je suis allé chez eux (mon voyage à San Francisco il y a si longtemps). Hier soir j’ai fini le neuvième et dernier tome des Tales of the City d’Armistead Maupin, et je m’en suis senti un peu triste. La formidable Anna Madrigal, l’adorable Michael « Mouse » Tolliver, l’irritante Mary Ann Singleton, et tous les autres, si nombreux, si familiers. Incroyable, formidable série littéraire que celle-là (les Chroniques de San Francisco en VF), à laquelle je ne suis pas près de cesser de revenir. Effet de réel… total. Ils me parlent absolument, ils appartiennent à ma propre histoire.

Et puis comme je suis une fois de plus en manque de San Francisco, une forme de nostalgie qui me prend de temps en temps depuis ce lointain voyage, et alors qu’en réalité je doute de trouver jamais l’occasion d’y retourner, je « lis San Francisco » : avant les deux derniers Maupin, j’avais relu Notre-Dame des Ténèbres de Fritz Leiber (Our Lady of Darkness), vraiment l’un des plus beaux romans que je connaisse, à la fois bavard, tendu, lent, erratique, imagé, à la fois sombre et lumineux… Et je continue avec un Michael Chabon récent, Telegraph Avenue