#2523

Ah, les bilans ! Faiblesse humaine, la fin d’une période calendaire arbitrairement fixée par notre civilisation approchant à grands pas — humides, les pas, certainement, vu le temps — comme tout un chacun je me sens porté par la tentation du petit bilan annuel. Le réseau social FB propose d’ailleurs de façon apparemment automatique un tel bilan, constitué d’extraits des billets que l’on peut avoir posté durant l’année. Je n’ai pas encore consulté le mien, préférant faire marcher un petit peu mes méninges en cette fin de journée de Noël mollement languissante et résolument solitaire. Je ne suis même pas sorti, aujourd’hui, du moins pas ailleurs que sur la terrasse, pour quelques pas — humides, donc, suivez un peu — sur la pierre froide, sous un ciel gris, faisant même une sorte de sautillement de marelle afin de m’approcher de mon carré d’herbe à moi que j’ai sans trop mouiller mes charentaises. C’est l’avantage d’avoir sa propre parcelle d’extérieur, ça : juste lever le nez vers les nuages, humer un peu l’odeur de fumée du dehors, frisonner au froid hivernal, constater que les pensées ont refleuri, et hop, retourner aussitôt à l’intérieur, à l’abri, au chaud. Refaire du thé, tiens.

Ah oui, au fait, et ce bilan ? Bah, voyons voir, que dire ? Le principal est déjà posé par cette évocation jardinière : le déménagement à Bordeaux. Eh oui, depuis le 26 janvier dernier, il y a déjà 11 mois, j’ai quitté les rudes canyons lyonnais pour les calmes horizons bordelais. Le mâchefer et le crépis pour la pierre blonde. Je n’en reviens toujours pas vraiment, de bénéficier de cette maison, vaste pour moi, de cette bibliothèque, si chère à mes yeux, de ce jardin, même s’il n’est pas bien grand. Non plus que je ne reviens du bonheur ressenti chaque fois que je sors, ne serait-ce que pour descendre acheter du pain, « Je suis à Bordeaux, je suis à Bordeaux » répète émerveillé et incessant mon fort intérieur, toujours jubilant d’un tel environnement. Et puis les réunions avec les copains, les visites d’amis, la brocante du dimanche matin, quelques passages dans les pubs, l’autre soir un concert du groupe de Laurent Queyssi — presque une vie sociale, oh, c’est dingue.

Sinon, qu’ai-je publié cette année, en tant qu’auteur ? Ce qui risque fort d’être ma dernière collaboration avec Fabrice Colin, la collection s’étant arrêtée : L’île des chevaux merveilleux. Couv archi kitsch, mais j’aime bien le projet, un album jeunesse de très grand format, plein de « pop-ups » rigolos. La reprise retravaillée de l’essai sur Jack l’Éventreur que j’avais écrit avec Julien Bétan. Et le troisième Dico féerique, vieux projet, j’ai terriblement lambiné. Un quatrième volume aussi, mais avec plein d’autres auteurs, Tim Rey en particulier a bien du en écrire la moitié, intarissable qu’il est.

Niveau « pro », eh bien si moi je suis dans mon 11e mois bordelais, ma maison d’édition est elle dans sa 11e année. Et j’ai embauché un assistant éditorial, ouiiii, enfin. Je n’en pouvais plus, de tout faire presque seul, s’il faut faire un bilan c’est celui d’une grosse fatigue, d’un boulot presque trop intense — le milieu de cette année fut difficile, tendu, épuisant, j’avais trop à faire. Cette fin d’année fut donc celle de l’apprentissage d’un autre rythme, d’une collaboration, et c’est tellement agréable. Bilan, bilan ? Globalement positif, bien entendu, que dis-je : merveilleusement positif, pour des changements de vie absolument majeurs. Une sacrée charnière, cette année 2014. Et en route vers de nouvelles aventures.

#2522

Dans la lignée de mes lectures de Lev Grossman, me suis souvenu que j’avais dans l’ordi un documentaire sur C. S. Lewis que je n’avais jamais regardé. Bien chouette, et quelle classe : présenté par A. N. Wilson, le grand historien/critique littéraire et biographe de Lewis, les docu anglais ne sont jamais présentés par un analphabète d’animateur télé quelconque mais toujours par the real thing, un véritable spécialiste. Sinon, lu un court Graham Joyce de toute beauté, The Ghost in the Electric Blue Suit (mais j’ai découvert que je l’avais en double, ayant aussi acheté, oups, la version anglaise qui s’intitule The Year of the Ladybird) et je fini de lire l’étrange roman anglais offert par le professeur X, Let’s Kill Uncle de Rohan O’Grady, une comédie datant de 1963, à la fois drôle et triste, touchante et cruelle, tout à la fois cosy et dérangeante, très inventive — étonnante. Sinon, orgie de musique outrageusement seventies : Eela Craig, Nektar, Deodato, Hancock, Go, Santana…

SpirouNoel

#2521

Je relis The Magicians de Lev Grossman, l’un des plus beaux romans de fantasy que j’ai jamais lu (mais ce n’est rien à comparer du deuxième, et j’ai hâte de lire le troisième). Et au tout début de la deuxième partie (j’en suis là), une remarque sur toutes ces vies que l’on accumule me touche par sa pertinence.

Lors de certaines étapes de notre existence, on a soudain l’impression que la période précédente est like a lifetime ago. Et selon nos vies, ces lifetime ago sont plus ou moins nombreuses. Je me souviens clairement avoir ressenti cette impression, lorsque la maison familiale en Bretagne, la Devinière, a été soudain perdue — il m’a semblé aussitôt que cet âge d’or, ce bonheur de passer nos vacances à la Devinière (dont une photo sert de bannière à ce blog), se situait déjà a lifetime ago, et pourtant j’étais encore môme. Puis lorsque j’ai été obligé de quitter Cergy-Pontoise et tout mon monde familier pour finir le lycée à Limoges, perdant ainsi mon environnement d’adolescence, mes copains, mes amis, mon premier amant et mon nouvel amant (ah mon paternel et ses fichus déménagements…). Lorsque j’ai fuit Limoges pour aller étudier à Bordeaux, là encore la page d’une lifetime ago s’est tournée, avec enthousiasme cette fois. Puis trois ans plus tard nouveau déchirement, avec l’obligation de quitter Bordeaux pour suivre mes parents à Lyon. Deux fois ensuite j’eus la tentation/opportunité de partir, mais cela ne se fit pas. Jusqu’au départ volontaire et enthousiaste: cesser d’être libraire, enfin respirer au dehors, en devenant éditeur. Ma vie de vendeur en librairie me sembla alors relever d’une vie antérieure… Et enfin, la décision de quitter Lyon que je n’aimais plus et où j’étais devenu tellement solitaire, pour retrouver Bordeaux. Et mon existence lyonnaise, les années au 245, de prendre l’aspect d’une autre page tournée, a lifetime ago.

#2520

Il y a bien longtemps (combien? 15 ans? 20 ans?) j’ai passé plusieurs semaines délicieuses à San Francisco — plus exactement, je logeais à Berkeley. Un de mes plus grands et bons souvenirs. J’y étais allé avec l’argent gagné par mon premier essai sur Star Trek, ce qui somme toute avait une certaine logique, Starfleet Academy étant censé s’élever dans le parc du Presidio, au pied du Golden Gate Bridge. Je n’y suis jamais retourné, faute de temps et d’argent. Mais j’y pense souvent, et particulièrement en ce moment, je ne sais trop pourquoi. Il y a une semaines ou deux je rêvais que j’étais en road-trip californien en compagnie de Michel Pagel (vu l’aversion de ce dernier pour l’avion c’est hautement improbable), et cette nuit je me promenais dans les rues de San Francisco. T’was good.

#2519

Je ne travaille plus le week-end, c’est là une sorte de petit luxe que je m’octroie. Ou du moins, que j’essaye de m’octroyer : mon cerveau, lui, ne se met pas forcément en repos. Bien au contraire, le calme du week-end me permet de partir plus en roue libre sur certains projets — et tandis que j’étais privé de Sèvres (snif), j’ai cogité sur un début de roman, le prochain Yellow Submarine et le plan d’un nouvel article pour le Panorama. Et sinon, lu l’un des romans de Lisa Goldstein que je n’avais pas encore lu, Walking the Labyrinth, c’est ce qui m’a soufflé cette idée d’article. Court, dense et nuancé, captivant aussi. Décidément, plus je la lis ou relis, et plus je me dis qu’en fait Lisa Goldstein est l’une des meilleures autrices de la fantasy américaine.