#5031

Deux nouvelles m’attristent considérablement ce matin, à savoir la mort d’une copine que j’avais perdue de vue, Vanessa Terral, et celle d’une des très grandes dames de la fantasy contemporaine, Patricia McKillip. L’œuvre de cette dernière fut parmi les toutes premières que je lus en anglais — au mitan des années 1980, lorsque les éditeurs français d’imaginaire (traduisez à l’époque : uniquement de SF !) freinaient des quatre fers pour empêcher la pénétration de cette épouvante, la fantasy. Poussé par quelques amis (Brèque, Marcel et Pagel, surtout) à me lancer dans la lecture en V.O. alors que mon niveau d’anglais avait toujours été calamiteux, j’avais tellement envie de découvrir ce genre neuf (pour moi) que j’en fis l’effort, et finalement l’anglais s’avéra une langue très aisée d’abord. Deux des premiers romans que je lus furent The Riddle-Master of Hed et The Forgotten Beats of Eld de Patrick A. McKillip. Et je me revois encore, dans ma petite chambre dans un ancien bordel en centre-ville de Bordeaux (si), en train de lire cette prose incroyablement riche et pourtant si accessible. Franchement, McKillip, pour moi, ce fut alors une littérature qui me fit exploser le cerveau — je n’en revenais pas. À la fois le langage (lire en américain), le style (excessif) et les thématiques (comme du conte de fées complètement réinventé et développé). Ensuite, j’ai lu plein d’autres auteurs bien sûr, par exemple Ellen Kushner, ou Pamela Dean, ou Steven Brust, ou Roberta MacAvoy, ou Esther Friesner, ou Barbara Hambly… me suis même risqué sur l’indigeste Stephen Donaldson… mais j’ai toujours conservé une place spéciale dans mes goûts, presque une douce perversion, pour les hallucinantes sucreries de Patricia McKillip. Elle fut un peu traduite, chez J’ai Lu et chez Mnémos, sans grand succès je crois — trop précieuse, trop exigeante ? Pour moi elle fut une lecture marquante de mon parcours d’éditeur, c’est certain. Et je suis triste.

#2996

La nuit dernière, j’ai été sauvé par des livres de chez ActuSF. Vers 5h du matin, klong ! Je suis réveillé en sursaut par un claquement, et un affaissement du matelas de mon lit. Les chattes s’enfuient, sauf Jabule toujours impériale. Je soulève le matelas – uh, le pied du sommier a cassé, étrangement l’extrémité de la barre centrale n’était qu’un truc en plastique, collé à l’entourage en fer et qui vient de se briser. Je descends chercher un mètre, je remonte mesurer la hauteur du sommier : 21 cm. Je redescends, vais à la cave et trouve aussitôt un petit carton bien lourd et solide, des invendus d’ActuSF qui datent d’un salon d’il y a deux ans. 19 cm de haut, bon, je prend aussi une petite planche et je remonte : je glisse le carton sous le lit, surélève et protège ce socle improvisé avec la planchette, soulève la partie brisée du sommier et la pose dessus, remboite les trois lattes déboîtées, et voilà : un sommier de nouveau solide. Les chattes de retour approuvent le dispositif, il est 5h 30 et je me recouche. Merci ActuSF, ça c’est de la littérature qui réconforte.

#2995

Triste nouvelle ce matin : le fan marseillais Daniel Le Mercier serait décédé en avril dernier. Il y avait bien longtemps que je n’avais plus de ses nouvelles, depuis 2014 je crois, mais fut une époque où ç’avait été un chouette camarade de conventions, et j’avais été chez lui une fois, dans un appartement meublé comme un épisode de Maigret. Que dire ? Comme vient de me le dire un ami commun, « c’est vraiment un chouette gars qui nous a quitté trop tôt. » Je pense à son fils Pascal, que j’ai connu grand ado.

#2909

Le conseil municipal de Minneapolis vient d’annoncer qu’ils vont démanteler et supprimer leur service de police. Dans le contexte actuel, permettez-moi de témoigner de mes rapports tristement décevants avec la police française.
 
Au début de ma carrière de libraire de BD, je fus un matin agressé par un petit voleur, qui cassa mes lunettes. Au commissariat, on prit ma déposition et, le coupable ayant été interpelé, on me convoqua pour une confrontation une semaine plus tard. Je me présente, et… mon agresseur n’est pas venu, mais le policier non plus, qui a « oublié ». L’affaire en resta là et je dû payer de ma poche mes nouvelles lunettes, ce qui me plongea durant plusieurs mois dans de graves problèmes financiers, au point que j’avais des difficultés à manger correctement.
 
Une fin d’année, le « provider » du site web des Moutons électriques ferma sans crier gare, et alors que l’on venait de lui régler le renouvellement de notre domaine. Nous perdîmes ainsi notre site, notre nom de domaine en .com (nous sommes en .fr depuis) et le chiffre d’affaire VPC de la fin d’année, donc une somme importante. Ayant porté plainte, je fus contacté plus tard et par téléphone par un gendarme, qui voulait que j’accepte un règlement à l’amiable. Comme j’avais refusé… l’affaire fut classée sans suite, sans courrier ni aucune information.
 
Comme je venais de préparer les premiers volumes de la « Bibliothèque rouge », mon appartement fut cambriolé et tout notre matériel informatique fut volé, nous faisant perdre nos archives et notre travail. La police vint relever des empreintes, et… ne fit rien d’autre, aucune enquête. Je me doutais de l’identité du coupable, une famille de délinquants logeant dans l’immeuble du devant (la famille… du concierge !) et je le dis aux policiers, qui en rirent. Mon voisin du dessous mena sa petite enquête et trouva immédiatement une témoin des faits, avec identification sans le moindre doute du fils du concierge. La police refusa tout net de faire quoi que ce soit.
 
Il y a quelques années, deux lots de colis, une trentaine à chaque fois, ne furent jamais acheminés par la Poste. Déposés au bureau de Terre Neuve à Bègles, en présence de mon adjoint, ces quelques soixante envois disparurent sans laisser de trace, nous obligeant à retirer ces tirages limités et refaire les envois, d’une autre ville car devant l’ampleur des problèmes avec ce bureau de poste, nous décidâmes de transférer nos expéditions ailleurs. Le commissariat refusa tout bonnement de prendre ma plainte, le Parquet ignora mon courrier et la Poste bien entendu ne répondit pas.
 
Enfin, en novembre 2017 je fus victime d’une agression par un fou, à mon domicile, et… mais voici un long récit résumant tout cela…
 
25 novembre 2017 en début de soirée : un individu qui m’est inconnu sonne chez moi, veut rentrer, ne parle pas français, se fait menaçant, je referme la porte, il tape, menace, revient une deuxième fois, encore plus violent, tape sur fenêtre et porte, revient une troisième fois, ma porte vole en éclats. L’individu s’enfuit en courant.
J’ai téléphoné trois fois au 17, la patrouille de police est venue ¾ d’heure plus tard. Les policiers ne sont pas restés plus de 5 mn et m’ont laissé sans aucune assistance devant chez moi, avec une porte détruite et béante, en pleine nuit, alors que mon agresseur pouvait fort bien revenir.
27 novembre 2017, le vigile envoyé par mon assureur en attendant la mise en sécurité de ma porte me désigne au matin un couteau et un tournevis cachés près de ma porte. J’appelle le 17, où un officier de police essaye de me dissuader de redéposer plainte, me dit de jeter ces objets à la poubelle, puis me rappelle pour me dire qu’en fait si, il faut que j’aille faire un nouveau dépôt au commissariat.
Au commissariat, l’agent d’accueil essaye de me dissuader de déposer plainte, me dit de laisser les deux objets qu’ils détruiront. Comme je m’en étonne, l’agent d’accueil me rend les deux objets, que dans les bureaux l’agente de police judiciaire s’étonnera de voir en ma possession, estimant qu’on n’aurait pas du me les restituer ainsi. Ma nouvelle plainte est enregistrée.
04 décembre 2017 : l’individu revient le matin crier et frapper et sonner à ma porte et à mes volets vers 9h du matin, puis revient encore vers minuit. Je redépose encore plainte, là les agents de police judiciaire me confient leur impuissance à m’aider et me demande de ne pas revenir encore poser plainte si le harcèlement se poursuit.
L’individu est encore revenu crier et frapper et sonner à ma porte et à mes volets un soir ; mon assistant, présent, et le voisin qui est témoin, ont tous deux téléphoné tout de suite au 17, sans effet, la police refusa de se déplacer.
L’individu est encore revenu crier et frapper et sonner à ma porte et à mes volets un autre soir, un autre de mes collaborateurs était alors présent. Puis d’autres fois encore, en présence de deux de mes collaborateurs.
Deux voisins et une voisine ont vu l’individu dans le quartier, plusieurs fois ; je l’ai aperçu également une fois, de loin (il s’est alors enfui en courant dans une rue adjacente), une quinzaine de jours plus tard.
Sans la moindre nouvelle des officiers de police judiciaire qui devraient se charger de ma plainte et alors que je m’estime toujours en danger, le 8 janvier 2018 j’ai écrit au procureur. Sans réponse. Je reçois un mail d’une policière me demandant le montant des frais de réparation de ma porte (pris en charge par les propriétaires, qui furent très chouettes). Des mois plus tard, courrier du Parquet pour m’informer du classement sans suite.

#2760

Bouleversé hier soir par l’incendie de Notre-Dame, je me suis interrogé sur mon rapport aux monuments, ce qu’ils me disent, en tout cas comment je vis avec eux. Et quels différents niveaux peuvent avoir ces monuments. Pour essayer de comprendre l’émotion.

À Bordeaux, ces derniers mois, j’ai ressenti comme une grande perte la disparition de deux personnes et d’un lieux qui, personnellement, intimement, représentaient des piliers de « mon » Bordeaux. Étaient-ce des monuments ? En un sens, pour moi ils l’étaient : Henri Pajot, ce piéton que je croisais sans cesse depuis 30 ans et avec qui je venais de discuter un peu au rayon BD de chez Mollat ; et Michel Suffran, le grand écrivain, que je croisais parfois à la brocante Saint-Michel, que je lisais depuis 30 ans aussi et chez qui j’avais eu le bonheur et la fierté d’aller une fois, admirer cette prodigieuse collection de livres et de tableaux maintenant déjà dispersée. Le lieux, cela va vous sembler dérisoire, c’était la boutique de thé, Betjeman & Barton, qui vient de fermer. En attendant la fermeture annoncée d’une autre référence familière depuis 30 ans, le bouquiniste Guillaume au début de la rue Sainte-Catherine. Rien à voir avec Notre-Dame, n’est-ce pas ? Et cependant, je me dis qu’un monument ce n’est pas seulement, pas forcément, une grande œuvre architecturale, un sommet artistique, c’est aussi un symbole, et c’est également un puissant élément de décor ; un monument structure une ville ou un pays à différents niveaux. Si je suis bien entendu très attaché aux portes monumentales de Bordeaux, par exemple, à la cathédrale Saint-André ou à l’église Saint-Michel, je le suis aussi et de manière très forte au quartier de Mériadeck, si controversé et si méprisé souvent, et j’aurai été outragé si l’on s’était avisé de raser l’ancienne Caisse d’Épargne (chef-d’œuvre brutaliste heureusement classé) et me suis réjouis que le bassin du parvis soit de nouveau en eau et que ses jets soient enfin rallumés.

Anglophile comme je le suis, fasciné par Londres — ce qui n’a rien de bien original, cette passion étant partagée par tant d’autres et depuis si longtemps —, j’ai visité plusieurs fois la cathédrale St Paul, l’ait souvent photographiée, beaucoup admirée, en ait étudié un peu l’histoire. Notre-Dame de Paris, vous l’avouerai-je, je n’y suis rentré qu’une seule fois, et encore ne suis-je pas allé bien loin, effarouché par la masse de touristes et par une messe qui avait lieu à ce moment — alors qu’en face de là, sur l’autre rive, j’ai visité les « églises de Huysmans » (Saint-Julien-le-Pauvre et Saint-Séverin), et que je suis déjà allé deux fois dans le Sacré Cœur, esthétiquement si critiqué mais dont l’intérieur m’a fasciné. Notre-Dame, je n’ai pas pris l’occasion ni eu la grande curiosité de la visiter, je n’ai même pas lu le roman de Victor Hugo, et je n’entretenais avec elle aucun lien d’affection intime — alors que l’éventration récente du Forum des Halles m’a laissé une certaine tristesse, comme lieux d’émancipation et de souvenir de mes jeunes années de lycéen —, mais son poids symbolique pourtant je l’ai toujours ressenti : le choc d’hier soir, c’est en fait d’avoir réalisé qu’il ne s’agissait pas d’une montagne, d’un grand rocher qui ancrait un sublime morceau du paysage parisien, non, mais bien d’un bâtiment périssable. Car je crois que je l’avais toujours regardée comme l’on admire un sommet rocheux, pas dans son détail, pas en entrant dedans, mais en la considérant comme un tout, une force évidente, ce petit mont hérissé auquel je jetais chaque fois un regard admiratif en me rendant par exemple à la librairie Shaskespeare & Co (autre monument, et me parlant de manière différente), ou lorsqu’à bord de la péniche de mon oncle nous avons croisé à ses pieds, ou bien encore à la voir sur nombre de tableaux impressionnistes. Et considérer cette montagne soudain si fragile, ce chef-d’œuvre brutalement mis en péril… eh bien, l’émotion fut intense, et certainement différente pour chacun, pour chaque Français et au-delà, dans le monde entier, un symbole irréfragable que justement un incendie vient contredire.