#2868

Un détail et je réalise qu’il s’agit bien du passé : un train passe et l’on évoque son panache blanc ; un voyage en voiture et l’on se serre les couvertures sur les jambes… J’ai replongé ces dernières semaines dans un de mes (nombreux) péchés mignons, le polar anglais golden age. Après le délicieux vintage fifties des sœurs Bodin (les sept romans de Jean-Pierre Ferriere que je vais rééditer en deux gros volumes au Rayon Vert), je suis donc de retour à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, dans le quotidien britannique, après avoir passé pas mal d’années un peu éloigné de ces fictions si british (trois ans que j’avais acheté les George Bellairs par exemple). Doux retour.

#2859

Presque tous les dimanche matin, c’est-à-dire lorsqu’il ne pleut pas, je réponds à l’appel des deux marchés : les halles des Capu et la brocante de saint Mich. Selon les fois et les autobus, j’arrive par le long arc et le brasier bleu des quais, ou bien par la cohue du trottoir trop étroit avant le carrefour qui ronfle et fume. Et curieusement, en six ans je ne me suis toujours pas lassé. Également curieux que m’amuse tant cette plongée dans des foules, pour un vieux mec qui n’apprécie guère cela dans toutes autres occasions.

Eh bien là, semaine après semaine, chaque fois c’est semblable et différent : dimanche dernier les stands rares grelotaient sous un ciel glacial et des coups de vents, et je ne rapportai qu’un mince volume de Rimbaud — souhaité depuis longtemps, tout de même : enfin les textes, seulement les textes, sans toutes ces fichues notes où des profs croient bon de livrer « explications » et commentaires, fichus parasites, laissez donc Rimbaud parler. Aquarium ardent et aube de juin batailleuse : laissez-nous en trouver le sens, ou pas, c’est Rimbaud que l’on dénature à coups de notes de bas de page.

Ce matin, sur le bitume vernis d’humidité se pressaient les stands en grand nombre, sans parler des dames à brushing et des messieurs à poil blanc qui tractaient pour le candidat du clan présidentiel, et j’ai rapporté une poignée de Colette, Carco et Dabit, un Renée Dunan polardo-coquin ainsi que quatre jolies revues Pif des années 60. Papier humide, trouvailles au hasard, matin doux.

#2857

Venant de lire en partie le gros recueil de Jean-Pierre Hubert concocté par Richard Comballot chez Rivière Blanche dans un superbe devoir de mémoire, j’en suis ressorti avec un certain vague-à-l’âme tant il me semble que son œuvre a mal vieilli, allant des stratégies narratives seventies au formalisme eighties jusqu’à une certaine abstraction sèche, sans rien comprendre finalement de ce qui agitait la science-fiction. Une œuvre à côté de la plaque, historiquement intéressante mais néanmoins un échec en fin de compte, ai-je l’impression. Il faudrait que je relise certains de ses romans. Curieux comme en musique de tels « péchés » constitueraient une patine, voire même une identité, alors qu’en littérature ça me semble constituer une forme d’impasse.

Jean-Pierre Hubert fut important, pour moi : j’adorais ses textes, à l’époque, et l’ayant rencontré lors de ma première convention, à Bordeaux en 1981, je lui avais demandé pourquoi il ne réunissait pas ses nouvelles en recueil : il m’avait dit être incapable d’effectuer de tels choix — « Et pourquoi tu ne t’en occuperais pas, toi ? ». Ainsi fis-je mon premier job éditorial « pro », pour Denoël, alors que je commençais mes études — la directrice de collection refusa que mon nom apparaisse dans Roulette mousse, car « ça ne se faisait pas »… Peu d’années après, eh bien ça c’est mis à se faire tout à fait couramment. Toujours est-il que Jean-Pierre me prit sous son aile, il fut mon premier mentor, attentif et doux. Je le perdis un peu de vue plus tard, il s’était éloigné du milieu SF tant son échec littéraire lui inspirait d’amertume, tout de même il avait acheté une part sociale dans les Moutons électriques ; et en mai 2006 la nouvelle de son suicide fut mon premier deuil, je me revois pleurant entre les bras de mon premier stagiaire…

#2850

Qu’ai-je lu, cette année ? La question peut surprendre, mais c’est que je lis tant et tant que, tout à l’heure, le fier bilan d’une blogueuse m’a fait rire : quarante bouquins, eh bien, comment dire ? Il doit s’agir de mes lectures en un trimestre, dirai-je. Non que je compte, d’ailleurs, ni que je me souvienne exactement : je dévore ou je picore, les livres succèdent aux livres et, sans qu’ils s’effacent, ma mémoire immédiate ne laisse surnager que quelques titres… Ainsi et en désordre, je me souviens du dernier Modiano, Encre sympathique, toujours aussi empli de nostalgie ; des puissantes nouvelles de Ian R. MacLeod dans Red Snow ; de la relecture de deux Pierre Véry pour la jeunesse ; de celle des quatre utopies, dont il se trouve par un certain bonheur que je vais bien en être l’éditeur un jour ou l’autre ; des mémoires d’Armistead Maupin, touchantes ; d’une soixantaine de Maigret relus l’été dernier ; du dernier Fantômette que je n’avais pas encore lu ; de pas mal de Dylan Dog et d’un monceau de Batman ; de belles SF récentes par Paul McAuley et par Adam Roberts, teintées de polar ; d’un David Mitchell renversant, Slade House ; de quelques Harry Dickson de Jean Ray, parce qu’il faut y revenir régulièrement ; dans ce sujet, des deux albums étranges de David B. ; de Rain de Melissa Harrison, deuxième lecture de ces trois promenades sous la pluie anglaise ; du formidable et tout récent Tif & Tondu par Blutch et son frangin ; des douloureuses nouvelles de Ben Okri dans Prayer for the Living… Pour ne rien dire des lectures « pro », également nombreuses (plus que jamais, en fait, avec le flot de polars fantastiques de Maurice Limat réédités chez Rayon Vert) et souvent excitantes (je sors par exemple du prochain Nikolavitch et j’alterne entre le troisième Texier et un vieux Limat de derrière les fagots) ; ni des séries, lectures de type feuilleton auxquelles l’on revient donc régulièrement (Benedict Jacka, Christopher Fowler, Genevieve Cogman, Theodora Goss, Eric Brown, Ian Rankin…). Et après on s’étonne que je ne prends pas le temps de regarder des images qui bougent, m’enfin quoi.

#2847

À écouter la pluie tambouriner sur le vasistas de la chambre, je me dis qu’il est curieux que les comics n’évoquent jamais les bronchites que chope Batman à sortir chaque nuit par tous les temps ; les gros rhumes du jeune Robin ; ou les angines de Batgirl… et n’évoquons même pas cette pauvre Black Canary avec ses bas résilles, brr !