#2585

Face aux monceaux de livres que j’ai en retard de lecture, pourquoi lire si vite le prochain Mauméjean, ne me demandez-vous pas ? Eh bien, c’est que c’est un ami, mais plus encore, j’ai écrit plusieurs essais avec lui — les bio de Holmes et de Poirot qu’en janvier, avec ma bio solo de Lupin, la collection de poche Hélios va rééditer. Je viens juste de boucler les trois fichiers. Et lorsque Mauméjean, mon excellent camarade Xavier, sort un nouveau roman (La Société des faux visages) je suis curieux, très curieux. Curieux de savoir quelle « machine » il a fabriqué et de voir comment elle fonctionne. D’autant que la veine qu’il explore depuis maintenant trois romans n’est guère éloignée de ce qui motiva nos biographies. Les commentateurs germano-pratins, jamais à cours d’inculture, ont récemment forgé l’étiquette d’exofiction pour les plus ou moins bio romancées, les vies réinventées, ce genre de choses — pour la fiction, quoi. Alors avançons que Mauméjean est le roi de l’exofiction, et pas depuis peu. Avec Alma il semble avoir de plus trouvé son éditeur idéal, des petits formats élégants, sobres à la française, et cette fois il propose un titre fort mystérieux, une énigme très étrange, une histoire bien folle. C’est étonnant combien ces « exofictions » mauméjeanesques fonctionnent bien pour moi, alors qu’elles se situent en dehors de mes propres sentiers lus et battus. Je ne saurai dire exactement pourquoi, je ne me prétend pas « critique », il y a cette documentation subtilement glissée (touchant du doigt presque son versant essayiste), il y a cette sécheresse de style (moi qui aime le lyrisme), il y a cet étonnant intellectualisme de concept allié à une tendresse pour ses protagonistes (cette fois Houdini, Freud et Jung), cet imaginaire de l’étrange, du freak, du tordu, curieusement plus souvent chaud que sombre. Drôle de type, Mauméjean. Je l’aime bien.

#2584

L’un des avantages des lectures « pro », tout ce que je lis ou relis pour les Moutons électriques et projets annexes, c’est que cela me soulage de la sempiternelle question « bon et maintenant je lis quoi ? ». Question qui revient avec une étonnante régularité sinon, indécis que je suis, partagé entre tous ces livres que je n’ai pas encore lus ou que j’ai l’impulsion de relire, et bien souvent j’en prend un, le commence, le repose, vais en chercher un autre, le feuillette, finalement non, j’en prends un autre et ainsi de suite jusqu’à ce qu’enfin mon humeur se stabilise. Ainsi avais-je entamé plusieurs fois Wild Chambers de Christopher Fowler, la dernière en date des enquêtes particulières de Bryant & May — et pourtant, il s’agit d’une de mes lectures favorites. Enfin, je viens de le lire, avec l’habituel plaisir et quelques rires ravis. Pas d’attente en revanche pour le prochain Mauméjean, La Société des faux visages, court, fou et lu ce week-end alors que je venais juste de le recevoir. Ce soir je pense entamer le début du prochain Jaworski — enfin, ce qui est déjà écrit de son prochain (oui oui, jalousez-moi). Ensuite ? Je ne sais encore, pour le moment je suis de nouveau plongé dans Soft City de Jonathan Raban, cet étonnant essai / mémoire sur la vie en ville, datant de 1974, que j’avais acheté en 1998 et que je crois bien n’avoir jamais fini, le picorant parfois, y revenant souvent, chaque fois fasciné puis lassé par sa densité, mais cette fois c’est à la recherche de certaines inspirations, certaines humeurs ponctuelles pour des travaux d’écriture en cours, que je l’ai rouvert. On a bien le droit de ne prendre ainsi que des aperçus d’un livre, après tout — ce que propose tout naturellement un recueil de nouvelles, j’en ai donc picorées quelque-unes dans Get in trouble de la toujours étonnante Kelly Link, aussi, ces jours derniers où j’essaye d’un peu lever le pied niveau boulot.

#2583

Il n’arrive pas excessivement souvent que je doive rechercher un mot dans le dictionnaire — mais j’aime ça, cette forme singulière de gourmandise qu’est le vocabulaire. Tel, en français, ce « bréhaigne » d’une citation de Julien Gracq faite ce matin par l’ami Jaworksi (ça signifie « stérile ») ou bien encore à l’instant, en anglais, cette « apricity » chez Christopher Fowler (“the warmth of the sun in winter”, n’est-il pas merveilleux de posséder un mot pour cela ?).

#2581

Un mien ami m’a offert un recueil des souvenirs de voyage à Bordeaux de Johanna et Arthur Schopenhauer. Le philosophe n’avait alors que 16 ans, c’était en 1804, le château Trompette élevait encore ses vieux créneaux noircis, chaloupes et navires encombraient le port de la Lune, pour le Mardi-gras deux carnavals se déroulaient… Lecture délicieuse, mais je préfère la prose délicate et gentiment lyrique de la mère, Johanna, à celle sèche et grognon du fils, à la fois immature et déjà rigoriste.

#2578

Mon jardin est tout petit mais m’apporte malgré tout bien des menus plaisirs, comme de manger ce midi une salade de pourpier, tomates, oignon et piment doux en provenance de mon espace à moi que j’ai. Et je songeais à ces bonheurs minuscules qu’il faut parvenir à saisir, à entretenir, à chérir pour se sentir bien, notamment à certaines photos qui me sont chères. Celle-ci par exemple, réunissant deux garçons importants pour moi (mon assistant et mon fils), et la lecture, toujours la lecture. Les bougies c’était plus fortuit, mais cela créa une belle ambiance. Au début de mon acclimatation bordelaise, il y avait fréquemment des pannes de courant, l’installation vétuste ne fut enfin remplacée par la compagnie d’électricité qu’après plusieurs protestations des habitants de l’impasse. Maintenant même par les orages les plus violents, comme l’on en a eu un il y a peu, la lumière demeure stable.

Mon traditionnel épuisement estival m’ayant rattrapé, je me suis mis un peu en pause, je (re) lis pour mon plaisir seulement, à savoir pour l’instant Moonheart de Charles de Lint, l’une des premières fantasy urbaines à m’avoir renversé — à la relecture, je trouve que l’auteur tirait un peu trop à la ligne, je passe vite sur certaines séquences, mais la musique particulière de cet auteur me séduit toujours. Niveau bédé, je relis avec jubilation les « Lapinot » de Lewis Trondheim.