#2261

D’habitude je lis (au moins) deux romans à la fois : un « en bas », dans le bureau ou au salon le matin et souvent le soir, et un « en haut », dans ma chambre le soir après m’être couché. Mais en ce moment je bosse tellement, sur le Panorama bien sûr et avec toute la gestion habituelle des Moutons, que je n’ai guère le temps/l’énergie pour un « livre d’en bas » en dehors d’un peu de bédé… Je poursuis donc mon trip Maigret du soir, là je m’amuse de Maigret s’amuse

« Il attendit patiemment qu’elle eût fait la vaisselle et il fût même sur le point de l’aider. » Ah oui quand même, bel effort monsieur Maigret ! 🙂

#2260

En ce moment, je suis obsessionnellement axé sur le Panorama, l’énorme ouvrage sur la fantasy et le merveilleux que je prépare pour les Moutons électriques. Des 416 pages envisagées au tout début, on s’achemine tranquillement vers les 640 pages au final. J’en maquette entre 6 et 16 pages par jour ; impossible de faire plus, pour être apparemment très simple, très sobre, un tel travail de mise en page demande un sacré boulot en réalité. Et du coup, l’univers semble comploter pour me faire croiser des « signes » directement liés au Panorama… Je suis certain que savants comme vous l’êtes l’un d’entre vous saura me sortir le terme spécifique pour ce phénomène des hasards pas du tout hasardeux que nous réserve notre attention.*

Ainsi par exemple, hier mettant à jour le nouveau logiciel Mac de traitement des photos, je suis tombé sur un cliché pris il y a quelques années à Brooklyn dans l’idée vague d’illustrer un papier du Panorama lors de sa possible réédition… (et ça marche) Ou bien sur Amazon, soudain l’on me signale qu’existe en DVD le film de Greenaway Prospero’s Book que je voulais revoir depuis longtemps et que je cite, bien sûr, dans le Panorama. Et le plus fort, j’ai trouvé ces dernières semaines dans les « boîtes à lire » deux Italo Calvino que la mise en page de l’article de Berthelot m’avait donné envie de relire… Si par une nuit d’hiver un voyageur dans l’édition de poche que j’avais étant étudiant, et Le Baron perché dans un beau cartonnage illustré par Nascimbene, chouette!

Du coup, je les ai relus. Pour retrouver hélas mon impression mi-figue mi-raisin d’autrefois: à la fois j’aime, je m’amuse, c’est très beau… et je ne suis pas entièrement convaincu, cette littérature-là me laisse en dehors. Je ne participe pas pleinement à la fiction car l’auteur lui-même se refuse à le faire, on sent bien qu’il ne s’agit surtout pas de littérature de genre, soyons sérieux s’il vous plaît même lorsque l’on donne dans la fantaisie (et non la fantasy). L’auteur ne joue pas le jeu et par conséquent le tout demeure un peu froid, ou un peu sec, j’imagine que c’est là le degré de « folie » maximum qu’accepterait un public de vieilles bibliothécaires et d’intellos entartrés. Je ressens la même retenue un peu bon chic bonne littérature chez Peter Carey ou Steven Millhauser : dommage, de mon point de vue. Un peu la même différence entre Littérâture et fantasy qu’il y aurait entre le jâââzz et le jazz-rock…

* Il s’agit d’un phénomène d‘apophénie.

#2257

Faut que j’vous dise. J’évoque fréquemment, et à fin d’aide-mémoire, mes lectures, mais il y en a dont je ne parle pas, ou guère : celles que j’effectue en tant qu’éditeur. Pourtant, bien sûr, je lis également beaucoup dans ce cadre-là. Mais c’est une autre forme de lecture, et j’hésite toujours à m’étaler sur mes coups de cœur et travaux éditoriaux. Ainsi n’ai-je pas exprimé ici le plaisir réjoui que j’ai eu en lisant le recueil où Jaworski revient enfin au Vieux Royaume, Le Sentiment du fer. Ou l’espèce de saisissement admiratif, comme un long souffle, éprouvé en lisant Chasse royale du même. Ou bien encore l’excitation de dévorer en une semaine Véridienne de Chloé Chevalier, un début de série fantasy « dynastique » que l’on sort fin août. Mais cette fois, j’ai bien envie de vous parler plus en détails d’un manuscrit qui m’a renversé: La Fenêtre de Diane de Dominique Douay. Un inédit qu’il vient juste de finir, dont j’avais lu un petit tiers donc je savais que ça allait être splendide, mais là… Oh, bonheur. Un grand roman, tout simplement (ça sort en septembre).

Car je ne suis pas allé à Angers: la gabegie ferroviaire a eu raison de mon courage, trop c’est trop. Alors hier j’avais un peu le cœur lourd — et la tête plus encore, rapport à une grosse crise de rhume des foins, comme écrirait un gendarme. La faute sans doute aux marronniers du petit jardin Bertrand de Goth. Enfin bref, j’ai donc passé ma journée assis sur la terrasse, j’en ai même bronzé, luttant contre la migraine, les éternuements et les yeux brouillés, mais plongé dans, subjugué par, rivé à,  « La Fenêtre de Diane » que j’avais transféré dans la liseuse. Lire un roman entier, de bonne taille, en une seule journée, n’est pas expérience si fréquente. Et c’est du grand Douay, de la grande SF: visionnaire comme un Robert Charles Wilson (pour l’ampleur cosmologique), intime comme un Patrick Modiano (troubles des souvenirs et travail sur le témoignage), hanté par Philip K. Dick (et sa disparition), riche de tranches autobiographiques (un peu truquées, forcément)… Ah quel roman. Bon sang de bois, si celui-là n’est pas nominé à plusieurs prix c’est à n’y plus rien comprendre, moi j’vous dis.

Et puis sinon? Continué à tracer ma route dans les Maigret, lu aussi un Modiano, justement, L’Herbe des nuits, dans un même mouvement car il y a bien des points communs entre ces « romans gris », le mystère des gens, l’observation, la mémoire, l’enquête, un peu de tristesse, beaucoup de Paris…

#2255

De temps en temps, je lis un Maigret de Simenon, avec chaque fois la même admiration. En deux ou trois heures c’est lu, c’est court, concentré, d’une atmosphère épatante et d’une attention à l’humain proprement admirable, les dialogues sonnent juste, les descriptions aussi, et l’aspect « rétro » ajoute encore au charme. On touche à la perfection. Lu hier soir Maigret voyage, écrit en 1957.

Qu’ai-je lu d’autre ces temps derniers? Peu de choses finalement, entre fatigue et gros boulot. Hôtel Olympia d’Elisabeth Vonarburg, auteur que je tiens pour l’une des plumes majeures de l’imaginaire en francophonie. Las, je fus un peu déçu, cependant. La première moitié est séduisante à souhait, emplie de mystères, de troubles, de tension, d’onirisme… Et puis arrive le chapitre dans la bibliothèque, où les personnages s’expliquent tout les uns aux autres, à la Ayerdhal, et c’est une méthode narrative qui tend à me faire décrocher — j’avais subi un tel décrochement à un endroit de Transparence, par exemple, affaire de goût. J’ai repris bien sûr, mais la deuxième moitié m’a moins séduit, on en savait déjà trop et ce fut un brin trop long, à mon goût.

Relu Le Navire des glaces de Michael Moorcock, que j’avais lu étant jeune. Splendide, du post-apo puissant et prenant, vraiment remarquable.

Sinon, toujours le même plaisir de lire un Bryant & May de Christopher Fowler, le dernier en date étant The Burning Man, que je pense finir ce soir. Et j’avance lentement dans une relecture du Earthsea Quartet d’Ursula Le Guin, Terremer quoi, je l’avoue un peu trop austère et leçon-de-sagesse à mon goût pour le moment…

#2253

Avant-hier soir j’ai lu un roman d’horreur. J’en ai été tellement choqué qu’il m’a fallu tout ce délai pour parvenir à vous en parler. J’en frémis encore. Rien que le titre, déjà : Le devoir joyeux ! C’est une réédition des années 1960 d’un des romans de la série « Brigitte » par la terrifiante Berthe Bernage, qui dans les années 1930 en aligna comme ça plus d’une vingtaine apparemment. J’avais vu il y a quelques années une collection chez un bouquiniste lyonnais, avais feuilleté cela médusé, des sortes de « Bibliothèque rose » pour adultes, mais du style à faire passer Enid Blyton pour une gauchiste. C’est simple, rien qu’à lire les premières pages, c’est tellement sucré que j’ai eu l’impression de sentir les caries se former. Pétri de « bons sentiments », du genre de ceux qui animent les gentils petits couples homophobes de la Manif pour tous. Catho tradi, femme au foyer, doux enfants, famille, patrie… ahurissant, du concentré de Pétain et du Fig-Mag, de la littérature pour enfants de (Jean-) Marie et autres « Printemps français ». Traumatisant.

Post-scriptum : non je ne l’ai pas payé, trouvé dans une « boîte à lire ». Mais apparemment des gens continuent à rééditer ça.

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