#2384

Ce qui lia mes différents voyages, durant cette quinzaine nomade, curieusement ce fut la voiture : moi le piéton, moi le marcheur impénitent, je me suis retrouvé à participer au culte automobile. La Mnemosmobile est une « espace » confortable, je n’ai jamais eu mal au dos (ce qui m’arrive fréquemment en voiture), et j’ai redécouvert le charme particulier, désincarné, des voyages automobiles au long cours, cette glissade sans fin sur un ruban. De St. Malo à Lyon l’on traverse en autoroutes une France qui ne semble plus constituée que de forêts. Sous un ciel uniformément gris, dans une brume d’humidité qui monte de l’asphalte, les autoroutes filent entre deux vastes épaules vertes : forêts de pins, forêts de sapins, forêts de chênes, bermes herbeuses, quelques ouvertures sur des prés, notre pays paraît s’inscrire uniformément dans une nature domptée mais déserte. En fait, seulement en Auvergne, fort curieusement, l’urbanisme touche-t-elle une unique fois au ruban autoroutier. Des maisons, enfin, un instant. Partout ailleurs, la symphonie sans interruption des verts, vibrant d’autant mieux que la conjonction du printemps et du ciel plombé en rehausse les couleurs, gorgées d’eau. La route, elle aussi, a de ces nuances : bleu d’ardoise, noir d’encre, gris souris, rose brumeux.

Sur cette autoroute, la France devient abstraite. Villes et monuments se réduisent à leur plus simple et uniforme expression, celle d’un panneau de couleur brune, porteur d’un dessin stylisé. Autun ou Alesia, il ne s’agit que d’étapes chimériques, des concepts qui sous couvert de « repères » créent tout l’effet contraire : on ne sait plus où l’on se trouve, Autun ou Alesia ne sont que des noms, des panneaux, tous semblables. Et les cours d’eau, idem : la Mauvaise ou la Sansfond, ces noms évoquent fugitivement des images de divinités locales peu commodes, mais la plupart du temps on ne les aperçoit même pas, ce sont juste d’autres panneaux bruns, plus petits. Parfois, une halte : le véhicule ralentit dans les boucles bien dessinées d’une « aire », et à l’arrêt l’on constate que les bouleaux qui entourent des restaurants et stations-essences tous semblables semblent avoir autant de réalité qu’un motif de papier peint. Quant à la vie sauvage, elle aussi est devenue abstraction : des motifs sur quelques panneaux routiers, et le discret passage au-dessus de nos têtes de ponts bardés de bois d’où émerge la cime de quelques arbres, signalant qu’il s’agit d’endroits prévus pour la traversée des animaux d’un bord à l’autre. Rien ne saurait troubler le trajet, on file, on file. À la radio, la voix suave nous informe que la bonne nouvelle est qu’un accident est évacué, pas que des gens auraient survécu, seul importe que l’on roule, nous aussi nous sommes devenus théoriques.

#2383

Eh bien, après une quinzaine de jours sur les routes, me voici donc de retour à Lyon, toussant et crachotant vu le climat clément de ces temps derniers. Voix éraillée et sinus congestionnés. À Epinal, je fus même passablement décalé/distrait, trouvai-je, vu mon fort rhume et un rien de fièvre. De plus, pour la première fois depuis fort longtemps, je me trouvais en simple touriste dans un salon, cela me fit un peu « bizarre ». Enfin, ces Imaginales furent (comme toujours d’ailleurs) fort agréables, avec de bien belles rencontres, de chouettes conversations, plein d’amitiés, un lit chez les Heliot — pour une fois, j’ai pris un peu le temps de vivre tranquille ce très convivial moment.

Le dimanche, Nathalie (madame Mnémos) et moi-même sommes allé à Paris, pour le salon Geekopolis à Montreuil. Voyage un peu mouvementé car nous prîmes à bord une auteur malade, Nath me largua donc à Montreuil avant de filer aux urgences. Fort heureusement, l’auteur n’avait en fait pas grand-chose ; je parvins pour ma part à pénétrer dans le salon en dépit de l’absence de lien téléphonique dans cet énorme bunker. Je n’en ai pas vu grand-chose, ça avait l’air immense et très bien fichu, très amusant. Et le soir venu, c’est épuisé que je retrouvai la chaleur du foyer Camus.

Auparavant, la semaine précédente, j’avais enchaîné un court séjour parisien (avec dîner en compagnie de mon ami Morgan et de mon cousin Mathieu ; interview de plus de 2 heures avec Isabelle Franquin, en compagnie de Jean-Paul Jennequin ; joli moment de complicité avec David Calvo ; et dédicace à la libraire L’Antre-monde) avec un salon à St. Malo (le décevant Étonnants voyageurs). Une cousine de mon père me prêtait un bel appartement avec vue sur la plage, quel bonheur, j’aime tant l’océan, et l’odeur de vase qui flotte sur la grise ville fortifiée, et les troncs noirs et tordus des brise-lames, et les cris des mouettes, et la défiance rugueuse des rochers, et les tortillons des éjectas de coquillages, et le miroir des eaux rases, et le souffle des vagues et du vent… Le matin je me levais un peu plus tôt afin d’aller arpenter le sable, le soir je rentrais également par la plage. Des instants qui avaient un petit goût de vacances, en tout cas, un pas de côté dans une période déjà fort autre pour moi peu habitué à cet art du nomadisme.

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#2382

« Alors sont arrivés les derniers jours de mai…
Et tout le reste, tout ce qui avait pu se passer auparavant, toutes ces années d’angoisse et de désespoir, toutes ces choses qui m’attendaient, tapies dans l’ombre visqueuse de la nuit rouge — tout le reste s’est effacé derrière moi, englouti par la bouche béante de l’oubli.
Les derniers jours de mai ! « 

En juin 1989, Roland C. Wagner publiait le premier tome des Derniers jours de mai, roman se déroulant à Paris en l’an 2013.

Alors, en ces derniers jours de mai 2013, une pensée particulière pour l’ami disparu, Roland.

#2381

Jolie et amusante surprise au courrier du matin : la version en langue espagnole d’un des albums jeunesse que j’ai fait avec Fabrice Colin, publié en Colombie ! On avait déjà eu sur un autre titre des trad en castillan et en catalan parues en Espagne, mais là ça commence à devenir vraiment exotique…

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#2380

Peu bavard sur cette page en ce moment, yep, je suis occupé — et vais être en déplacement tout l’temps pour plein de salons sur une quinzaine de jours… Ça commence dés demain, avec un aller-retour à Arles pour la réunion Harmonia Mundi, puis vendredi direction Paris pour interviewer Isabelle Franquin. Samedi, Paris toujours, je serais en dédicace à la librairie l’Antre-monde, viendez les gens (142 rue du Chemin Vert dans le 11e, à partir de 15h30). Et le soir même, je filerai au salon de St Malo, où je vais tenir un stand avec mes amis des « Indés de l’Imaginaire », le dimanche et le lundi… (fort heureusement, une gentille cousine me loge à St Malo) Et la semaine suivante, on file à Épinal pour les Imaginales (cette fois, je vais bénéficier de l’hospitalité de Johan Heliot), puis dans une tentative d’ubiquité je filerai le dimanche à Paris avec l’un des Mnémos, pour finir le salon Geekopolis. Ouch. Moi qui suis casanier, vous imaginez l’effort?