#2935

Le sens du vent aidant certainement, les cloches dominicales viennent de sonner à plus belle volée que jamais. Bien que je sois sur la paroisse du Sacré Cœur, dont le double clocher perce les toits non loin, ce n’est pas de sa direction que monte chaque dimanche cette musique – sainte Geneviève je suppose ? Mais alors, d’où sonnent les cloches un peu plus lointaines que je viens d’entendre lorsque la cavalcade de bronze s’est tue ? Ah, et voici le Sacré Cœur, cette fois, seulement quelques notes.
Et je ne sais si c’est parce que j’avais lu qu’aujourd’hui est l’anniversaire de Capability Brown, mais j’ai rêvé prendre, sous une rotonde vitrée salie de mousses, un petit-déjeuner à la table ronde en fer d’un jardin dont Roland (je rêve de lui tout le temps) balayait les allées couvertes de feuilles mortes, avec sur la tête un large chapeau de jardinier en paille. Christine, assise à ma droite, donnait à manger à un bébé lorsque je lui dis de ne pas se retourner. Un immense lion de cuivre verdit se dressa et, lui posant ses imposantes pattes avant sur les épaules, nous considéra avec curiosité une seconde, avant de se laisser retomber et de disparaître dans les hautes herbes. Roland, appuyé sur le manche de son râteau, commenta simplement qu’ils étaient plus curieux que dangereux.

#2934

De petites choses. Me rendant au centre-ville tout à l’heure, sous un ciel bleu agréablement ponctué de grandes nuées blanches à la Miyazaki, j’ai remarqué avec surprise qu’il y avait dans l’air non pas de la pluie véritablement mais des gouttes, comme une bruine très lâche brassée par le vent. Et en ressortant de la librairie de bédé (terrible antre de perdition où je me rends maintenant toutes les semaines, ah on est bien peu de chose allez), toujours le même phénomène d’une bruine invisible et ultra légère sous l’azur profond. Rentrant chez moi, je vis que les trois chatons du voisinage avaient repris leurs galopades au sommet de la muraille, puis les trois petiotes s’endormirent là, en plein vent, benaises sous le soleil doux.

#2933

Me promener dans des cimetières, voilà qui m’est assez coutumier. J’ai bien entendu fait bon nombre de ceux de Londres, mon favori demeurant celui de Kensal Green, à la verdure effectivement remarquable – je me souviens de la tombe de Baden-Powell disparue dans les hautes herbes, et de celle toute petite en marbre noir de Daisy Duck (véridique), par exemple. À Édimbourg, le sombre espace gothique accroché à une corniche sous Calton Hill ; et la première chose que nous fîmes avec mes adjoints il y a deux ans fut de visiter celui de Dalry. J’ai même traîné mes « long suffering » parents au joli petit cimetière anglais de Lisbonne. Je me souviens du cimetière de Jausiers, juché en panorama au-dessus du bourg. Ou celui de Forcalquier, en grandes arches de buis. En France hélas, le si spectaculaire Père Lachaise excepté, les cimetières manquent paradoxalement de dramatique, il s’agit plus généralement de plates étendues calcaires, sans grande végétation. Le cimetière de Loyasse à Lyon vaut pour sa situation haut perchée au sommet de l’une des collines. À Bordeaux, ceux de la Chartreuse, en ville, de Pessac ou de Talence, en banlieue, creusent de vastes cavités planes dans le tissu urbain, des pauses minérales recueillies en longues allées, que ponctuent croix et pyramides, des respirations où le ciel empli la moitié d’un espace immobile.

#2932

Lorsque la température, le soir, ne retombe pas avant 22h, c’est fichu pour que je puisse dormir dans ma chambre, sous les combles. Il me faut alors prendre mes cliques et mes claques et descendre dormir dans la « chambre d’été », la petite cabine de navire arrimée au niveau de la cave. Las, un peu claustro je ne goûte pas outre mesure l’occasion et, cette nuit, j’ai adopté l’option « belle étoile », en installant le matelas d’appoint et une couette dans le jardin, sur les carreaux de la terrasse. Je ne l’avais plus fait depuis le triste avènement des moustiques tigres mais il me semblait que ceux-ci se faisaient rares maintenant, et j’avais raison, je n’ai pas du tout été importuné. Alors je pourrais vous raconter la houle des trains de marchandise en début de nuit, les rares étoiles perçant la brume urbaine, la petite chatte se blottissant contre moi en ronronnant, le craquement des branches du figuier – mais j’ai dormi, surtout.

#2931

Observateur de la vie menue de mon quartier, par mes promenades vespérales, il y a tant de choses que je ne peux photographier et si peu raconter, comme le brouhaha pépiant des étourneaux dans les platanes du boulevard, qui s’échangent des oiseaux et bruissent le soir des longs chants chamailleurs de ces petits volatiles. Le tintement en dégringolade des bouteilles que quelqu’un jette dans la benne ad hoc, de l’autre côté des voies. Le crissement des grillons dans le pierrier de celles-ci, très présent aux abords de la tranchée du chemin de fer mais inaudible dès que l’on fait quelques pas pour s’en éloigner. Les senteurs aussi, celle des chèvrefeuilles au coin de certaines maisons ou au-dessus des murs, un miel persistant qui flotte sur les rues. En attendant celui des tilleuls lorsque ce sera la saison, sous les grands arbres gonflés d’un arrondie de feuillage sombre. Ou plus subtil mais moins plaisant, le soupçon de vin rouge des figues pas encore tombées qui fermentent sous de larges feuilles spatulées comme de gros doigts. Et après la pluie, le périchor et l’asphalte mouillé, enivrant, entre terre et réglisse, vert et noir.