#2942

Début d’automne, entre moiteurs, chairs de poule et pluies soudaines. Bordeaux retrouve le climat que je préfère : il fait beau plusieurs fois par jour. Le virus vibrionne hélas de plus belle et la vie sociale se délite de nouveau. Le « présentiel » balayé aussi vite que les nuées par ce vent de tempête, je passe mes jours sur Skype et Slack, ou bien au bout du fil, et même mes promenades vespérales se font le masque sur le nez, dans la lumière qui diminue.

#2941

Hier soir le ciel était en flammes, comme en célébration d’une dernière soirée d’été avant la soudaine arrivée de l’automne. Je suis resté un bon moment à admirer les effets de lumière, comme on le ferait d’un tableau — les étagements de nuées incendiées, celles d’un bleu sombre les mettant en perspective, les rayonnements roses… Bref, la cellule de mon téléphone ne pouvait rendre justice à tant de luminosité, grillée par trop de feu solaire, et au bout d’un moment j’ai fait quelques pas dans la rue, jusqu’à tomber en arrêt devant un spectacle de fantastique, une maison hantée très certainement.

#2940

Ciel gris, ce matin, et bien du mal à me réveiller. La « bascule » arrive enfin : cet été outrecuidant tire à sa fin et la semaine prochaine apportera nous dit-on une fraîcheur automnale — et même, oooh, de la pluie. La pluie me manque, j’aime la pluie : d’ailleurs, à Bordeaux c’est même une attitude conseillée, vu la pluviométrie de notre bonne ville. Il y a quelque chose de confortant dans le bruit de la pluie, elle constitue une présence alors que le plein soleil est une vacuité. Ah, et puis pouvoir de nouveau s’habiller correctement.

#2939

Ne m’habituant pas encore tout à fait aux jours plus courts, je viens d’arroser les plantes dans l’ombre encore épaissie par la loupiote jaunâtre qui oscille au coin de la cuisine. Lorsque le bruit de l’eau s’est tu, celui de l’horloge Spirou, au-dessus des pots de thé, a soudain résonné plus fort, bien distinct comme le sont souvent ces tic-tacs la nuit, alors que muets le jour. L’une de mes deux lectures du moment se trouve en écho avec cette obscurité de fin d’été : un Jonathan Stagge de 1949, Le Cercle écarlate, aimable vieux polar américain se déroulant surtout de nuit. Ambiance de douces ténèbres.

#2938

Dans ma solitude piétonne, souvent me dis-je que j’ai quelque chose d’un personnage de Modiano et voici que, ce soir, au cul de la gare, le nom de l’écrivain me héla par surprise depuis la paroi d’un pont. Alors que faire sinon en suivre la citation, qui m’indiqua le chemin : vers le nouveau pont, tout d’abord, à la grande courbe encore interrompue, puis tout droit dans la friche ferroviaire. Là pour encore un moment règne le plat domaine de la caillasse, du chardon et de l’herbe en épis. Dans quelques années, des immeubles neufs moulés à la suédoise s’aligneront sagement, mais ils ne sont encore que fantômes du futur, mêlés dans le vent à ceux du passé : pyramides de ballast gris, tas de baulards en béton et immenses piles de madriers noircis, je file calmement dans cette plaine post industrielle, avec comme seuls témoins les grondements des trains et les frémissements des peupliers. Des halles anciennes érigent encore au long des voies leurs charpentes en bois, quelqu’un s’est-il rendu compte de leur beauté ou seront-elles abattues un de ces jours, comme de vieilles bêtes ? Des passages de pavés, des rails rouillés, la senteur d’un budleia, j’ai le nez dans la brise et le soleil rase le sol irrégulier, qui fait de chaque caillou un picot d’une nette noirceur. Un hangar neuf, un petit HLM boudeur, un bar où j’allais avec Laurent, puis me voici sur le boulevard familier.